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DII.

Baux à ferme à longues années, faits pour plus de neuf ans, sont retrayables ; comme aussi est la vente d’un usufruit faite à autre qu’au Propriétaire, lequel est préféré à la Clameur.

Le temps de dix ans est réputé long par les Docteurs, tant du Droit Romain que du Coutumier : Voyez ce qui est dit sur l’Article DLXXXVI. C’est pourquoi les baux faits pour plus de neuf ans, sont appellés à longues années & sujets aux Retraits ; ce qui a paru injuste à d’Argentré , sur l’Article CCXCIx de la Coutume de Bretagne. Il semble que ces Retraits ne se peuvent faire qu’avec l’agrément du bailleur, qui ne peut être contraint de décharger le preneur & de changer son obligé.1

Mais sera-t il dû treitieme de ces baux : Il semble qu’il n’en est pas dû, parce qu’il ne se fait aucune mutation de vassal, vû que le fermier à longues années ne peut être réputé propriétaire, ne pouvant engager, vendre, ni confisquer l’héritage ; & partant la conséquence du Retrait au treizieme n’est pas toujours bonne, comme l’enseigne Brodeau sur l’Article LXXVIII de la Coutume de Paris, n. 31.

Il a été jugé par un Arrêt du 1s d’Octobre 1616, rapporté parBasnage , qu’une fieffe faite pour le temps de la vie du preneur, n’étoit point retrayable, parce que les fieffes faites à perpétuité ne le sont pas, comme on le peut inférer de l’Article CCCCLII & qu’il a été remarqué sur l’Article CeceLXII.

C’est mal interprêter les dernieres paroles de cet Article, que d’en conclure, que le propriétaire doit être préféré à rétirer l’usufruit quand il a été vendu à un autre qu’à lui : car il n’y a pas de raison de lui attribuer plus de privilége en ce cas, qu’il n’en est attribué au propriétaire en l’Article précédent ; la consolidation n’étant pas plus favorable que la libération : le sens paroit plus naturel, en disant que le propriétaire à qui l’usufruit a été vendu, est préféré à la clameur, parce que son droit a exclu celui de la clameur qu’en interprétant que le propriétaire doit être préféré en cas de clameur, quand l’usufruit a été vendu à une tierce personne ; parce qu’il n’y a pas de raison qui lui doive donner cette préférence, & que d’ailleurs la Coutume en la lui donnant, auroit dù s’expliquer autrement, en déclarant qu’il seroit préféré au cas de la elameur. VoyezLouet , D. 23. & ce qui est remarqué sur l’Article CLXXXI.2 C’est mal raisonner que de conclure, que la vente des fruits faite avant la Saint-Iean, ou le premier jour de Septembre, est retrayable ; parce qu’en ce temps, les fruits sont immeubles : car tout ce qui est réputé immeuble n’est pas retrayable, autrement, il faudroit dire, que les bois taillis, qui sont immeubles jusqu’à ce qu’ils soient coupés, suivant l’Article DV, pourroient être retirés quand ils ont été vendus.


1

Les Coutumes varient sur le retrait des Baux à ferme à longues années. L’ancienne Coutume de Bretagne admettoit le retrait, quand le Bail excédoit quatre années, in veteri, dit d’Argentré , Aith. quadriennium duntaxat fuit. Sed cum id perspicué specturet ad eludenda commercia, & fidem contractuum, ut hoc modo conductures excluderentur instititimus ut jus injurium abrogaretur nec enim hunc usum esse retractus, nec enim fuerat ad conductiones inventum, sed ad rerum paternarum alienationes extrû familins. La nouvelle Cou-tume de Bretagne, Article CCCXIII, n’admet le retrait que quand les Baux excedent neuf ans, quia contradtus decennales, etiam si dominiiotranslativi non sint formaliter tamen quia diuturni temporis sunt alienationem quodam modo important. La Coutume de Nivernois, Chap. 4, Article XLII, ne déclare le Bail clamable que quand il excede trente ans. La Coûtume de Paris, Article CXLIz, veut que les Baux à quatre-vingt-dix-neuf ans ou à longues années, soient sujets à retrait : notre Coutume dit que les Baux à ferme à longues années, faits pour plus de neuf ans, sont retrayables.

Mais on jugeoit autrefois, en Normandie, que le Bail à la vie du preneur, ne pouvoit être clamé. Nous ne suivons plus cette Jurisprudence ; & il a été rendu Arrêt en GrandChambre en 1732, qui décide qu’un Bail à vie est sujet à clameur : car on ne peut pas considérer un Bail, dont l’époque de l’expiration est certaine, quoique le moment soit incertain, comme une fieffe à perpétuité.

Cependant, si quatre ans avant l’expiration d’un Bail, que je suppose avoir été fait pour neuf années, le propriétaire en consent un autre au preneur pour le même temps, & à commencer aprés le terme du premier, on ne joint pas la durée des deux Baux pour donner lieu à la clameur.

Les Gentilshommes, comme les Roturiers nonobstant la distinction de M. d’Argentré , sont admis au retrait des Baux à longues années ; car la Coutume les considère comme des aliénations d’immeubles.

La disposition de notre Coûtume a quelque chose de dur, car personne n’est obligé de changer de débiteur ; il faudroit du moins, comme dans la vente à rente viagere, assujettir le retrayant à se faire agréer du propriétaire, ou a lui donner une caution.


2

Notre Coutume suppose, en cet endroit, que l’usufruitier a vendu son droit d’usufruit, & elle décide que cette vente est clamable, quand elle a été faite à tout autre qu’au propriétaire qu’elle préfere à la clameur. M.Potier , Part. 1, Chap. 3, n. 30, estime, au contraire, que quoique le droit d’usufruit qu’une personne a dans l’héritage d’autrui soit un droit foncier, jus in re, un droit dans cet héritage ; le retrait n’a cependant pas lieu quand l’usufruitier en dispose à titre de vente au profit d’un tiers, même dans les Coûtumes qui admettent le retrait des acquets. M. Potier fonde son opinion sur le Droit Ro-main : le droit d’usufruit, dit-il, est un droit de servitude personnelle, un droit attaché à la personne de l’usufruitier, & qui n’en peut être détaché : quand un usufruitier me vend son droit d’usufruit, c’est plutôt l’émolument de ce droit que le droit même qu’il me vend il m’accorde le droit de recueillir en sa place les fruits qu’il a droit de percevoir par lui cu par un autre, en vertu de son droit d’usufruit ; mais ce droit d’usufruit qui ne peut être détaché de sa personne, demeure par-devers lui, & par conséquent ne sort pas hors de sa famille. Il est certain que ce raisonnement est exact ; mais notre Coutume considere moins le droit d’usufruit en soi, que les revenus qui y sont attachés : elle ne se bore pas à y voir une simple servitude personnelle sur le fonds d’autrui, elle communique à l’usufruit des choses immeubles la qualité immobiliaire : voila ce qui assujettit au retrait la vente de l’usufruit.

Le retrait appartient aux lignagers de l’usufruitier & il est étonnant que Basnage ait cru que le propriétaire du fonds les excluoit, quand même la vente ne lui en auroit pas été faite. Notre Goutume a repris sur la fin de cette disposition les maximes du Droit Romain qu’elle avoit abandonnée, & elle a voulu dire que quand l’usufruitier a vendu au propriétaire son droit d’usufruit, les lignagers de l’usufruitier ne sont pas recevables à le clamer. Quia tune ususfructus, ditBérault , apres la Loi, non est jam in rerum naturâ, sed suspensus, atque extinctus per consolidationem.

La Goutume de Paris, Article CXl. VII, décide un autre cas ; si aucun vend l’usufruit de son propre héritage à personne étrange, elle déclare que cet usufruit n’est sujet à retrait.

M.Potier , qui dit, n. 33, que cette disposition forme le droit commun, en rend cette raison, que les Coutumes n’accordent le retrait aux parens du vendeur que lorsqu’il met son héritage hors de la famille par la vente qu’il en fait ; mais on ne peut pas dire que par la vente & constitution qu’il fait d’un droit d’usufruit, il mette son héritage hors de sa famille, puisqu’il en demeure le vrai propriétaire : il excepte avec les Coutumes de Melun, Article CXXXXII, & Bourbonnois, Article CCCCLXIII, le cas où le propriétaire vendroit dans la suite la propriété, à l’acquereur de l’usufruit : c’étoit aussi l’opinion de duMoulin , &. 181. Si eodem contradtu vel verisimiliter precipitato vendit usumfrudtum & proprietatem.

Ces deux marchés n’en forment alors qu’un, & tout est clamable.

Mais, en Normandie, quand la vente de l’usufruit seroit sincere & sans fraide, quand la propriété ne seroit point dans la suite venduë à l’acquereur de l’usufruit, la vente de l’usufruit ne donneroit pas moins lieu au retrait. Nous estimons l’usufruit à la moitié de la valeur du fonds : privera-t’on la famille du vendeur d’une portion aussi considérable de Phéritage, en lui fermant la voie de la clameur ; Si nous adirettons le retrait de la vente de l’usufruit, faite par l’usufruitier, c’est à dire, lorsqu’il ne peut y avoir aucun soupcon de fraude pourquoi le rejetterions-nous dans un Contrat qui paroit toujours fort suspect ; Au surplus, cette manière de contracter est peu commune en cette Province Voyez Reinbench, de Retract. quest. 3 ; Gauvein, de l’usufruit, Chap. 26.