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DXI.

Deniers donnés pour Mariage des Filles, par Pere, Mere, Aïeul ou autre Ascendant, ou par les Freres, & destinés pour être leur dot, sont réputés immeubles & propres à la Fille, encore qu’ils ne soient employés ne consignés ; & où autres personnes auroient donné deniers en faveur de Mariage, pour être convertis en héritage ou rente au nom de ladite Fille, sont pareillement réputés immeubles, & tiennent nature d’acquêt en la personne de la Fille.

Dans cet Article & les deux suivans, on propose plusieurs cas ausquels des deniers sont réputés immeubles. Un de ces cas est déclaré par cet Article ; sçavoir, quand des deniers sont donnés à une femme, en considération de son mariage, & pour être sa dot : En quoi la Coûtume use de distinction ; car si ces deniers ont été donnés par le pere, la mere ou les autres ascendans, ou par les freres, ils sont réputés non-seulement immeubles, mais propres de la femme, pour-appartenir à ses parens de son côté & ligne, quand il y a ouverture à y succéder, encore que ces deniers n’ayent été employés, c’est-à-dite, remplacés en héritages ou en immeubles, ni consignés sur les biens de son mari : Que si ces deniers ont été donnés à la femme par toutes autres personnes, pour être employés en achat d’héritages, ou pour être constitués en rente en son nom, ils sont pareillement réputés immeubles, encore que la destination n’ait point été executée ; mais ils sont censés acquêts de la donataire. Or les deniers qui sont réputés propres par cet Article, conservent toujours cette qualité, & s’ils ont été consumes par la femme, ses héritiers au propre en peuvent demander le remplacement aux héritiers aux acquêts : Ce qui a lieu, non-seulement pour les deniers pronis par les ascendans ou par les freres, pour la dot 3 mais même à l’égard des deniers provenans des successions de ces personnes, quand ils sont réputés dotaux, comme il a été jugé par plusieurs Ar-réts.

La Coutume de Paris en l’Article XCIII, contient une disposition quasi semblable à celle de cet Article ; mais elle differe, en ce qu’il est requis, afin que les deniers soient réputés immobiliers, qu’il ait été stipulé qu’ils soient employés en achat d’héritages, & en ce cas, on a fait distinction du mart & de la femme : Car à l’égard du mari à qui ces deniers ont été donnés par ses ascendans en faveur de mariage, lorsqu’il ne les a pas effectivement remplacés en achat d’héritages, ils ne sont pas réputés propres, sinon pour l’ef-fet d’empécher qu’ils n’entrent dans la communauté : Mais à l’égard des héritiers du mari, ils sont toujours censés meubles. Ce n’est pas la même chose quand les deniers ont été donnés à la femme par ses ascendans en faveur de mariage, & pour être employés en achat d’héritages ; car encore que l’emplos n’en ait pas été fait par le mari, ils sont réputés immobiliers, & propres de la femme, afin que ceux de son côté & ligne y puissent succéder, à l’exclusion des héritiers aux meubles. Ainsi en ce cas, si la femme décede sans enfans, le mari ne peut pas prétendre part à ces deniers, comme faisant partie des biens de la communauté, & si elle laisse des enfans qui meurent sans enfans, le pere ni les freres nés du second mariage du pere, ne peuvent pas succéder à ces deniers, comme s’ils étoient des meubles, mais ils appartiendront aux héritiers qui seront du côté de la femme, à qui ils avoient appartenu. On a jugé en la Coutume de Paris, que les deniers promis au cas dudit Article CXCIII, n’ayant point été payés par les donateurs, la destination qui avoit été faite desdits deniers, pour être employés en achat d’héritages, n’en changeoit point la nature, & n’avoit pas d’au-tre effet que d’empécher qu’ils n’appartiennent aux mariés, comme des effets & des meubles de leur communauté, car à l’égard de toutes autres personnes, ces deniers sont des meubles, à moins que le donateur, au lieu de les payer ne se fût obligé à en faire la rente, auquel cas ils seroient immobiliers. VoyezLouet , D. 66. P. 40 & R. 44.

En Normandie, afin que les deniers donnés pour dot, par les ascendans ou par les freres, soient réputés immeubles & propres, il suffit qu’ils ayent été promis pour la dot, & il n’est point requis qu’il ait été stipulé, qu’ils soient employés en achar d’héritages, ni qu’ils ayent été payés par l’obligé, ou qu’il se soit obligé d’en faire l’interet.1


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Quand nous lisons l’Article XVIII de la Coutume de Paris, nous sommes tentés de la croire, en ce point, conforme à la nôtre ; aussiFortin , dans sa Conférence, ne manque pas de citer notre Coûtume. Somme de deniers donnée par pere, mere, aieul ou aieule, ou autres ascendans, à leurs enfans, en contemplation de mariage, pour être employée en achat d’héritage, encore qu’elle n’ait été employée est réputée immeuble, à cause de la destination, Article XCIIl de Paris. Voila des traits de ressemblance ; mais vovons les conséquences que les Parisiens ont tirées de leur Loi, & celles que nous avons déduites de la nôtre. On admet à Paris trois ordres de stipulation ; la simple stipulation en achat d’héritage ou de propre en faveur de la future épouse ; la stipulation en faveur de la future épouse, des siens ou de ses hoirs ; & enfin la stipulation en faveur de ceux de son estoc & ligne. Chaque de ses stipulations a des effets differens, la simple stipulation d’emploi ou de propre, en faveur de la femme, n’est jamais que contre la Communauté, & donne à la femme ou à ses héritiers la faculté de reprendre ses deniers apres la dissolution ; mais elle ne rend ces deniers ni propres de disposition ni propres de succession, & encore moins à l’égard de ses héritiers ; ils vont donc au plus proche héritier comme de simples meubles. L’effet de la stipulation de la seconde espèce est de rendre les deniers propres entre les enfans & descendans de la femme ; de sorte que si de plusieurs enfans, les uns décedent aprés les autres, les deniers demeureront propres entre ses enfans & descendans, tant qu’il y en aura, à l’exclusion du pere, qui ne pourra hériter de ces deniers, qu’apres le déces du dernier mourant des enfans : car alors ces deniers reprennent leur nature de meubles suspenduë par la clause du contrat de mariage. La troisieme stipulation a lieu au profit des collatéraux de la femme, & rend les deniers propres de ligne à leur égard, soit en la succession de la femme ou dans celle des enfans qui lui ont succédé ; mais dans quel cas les parens collatéraux de la ligne paternelle de la femme, préferent. ils les parens collatéraux de sa ligne maternelle, & vice versâ, quand les héritiers des deux lignes concouroient-ils ensemble ; Je ne traiterai point ces questions, consultez leBrun , des Succes-sions, Chap. 1, Sect. 3, il vous expliquera la valeur de ces réalisations.

Nous n’avons point besoin, en Normandie, de stipuler que les deniers donnés pour mariage des filles, par pere, mere, aieul ou autres ascendans, ou par leur frere, & destinés pour être leur dot, seront employés en héritages afin de leur communiquer la qua-lité d’immeubles ; ils deviennent par l’acte un propre dans la personne de la fille qui tient côté & ligne. Nous avons admis, il est vrai la nécessité de cette stipulation, lorsque la fille est dotée par un étranger ou tout autre de ses parens qui n’est pas désigné par la Coutume ; & sans cette stipulation, la dot de la fille tiendroit nature de meuble dans sa succes-sion, au lieu qu’elle lui fait tenir nature d’acquet.

La dot, dans le premier cas, au défaut d’enfans sortis du mariage de freres ou seurs de la femme, & des ascendans, passe aux parens du côté & ligne dont la dot procede : si elle a été dotée par sa mère ses parens maternels en héritent au préjudice des parens paternels, on y suit enfin toutes les regles de la succession au propre.

Dans le second cas, la dot, au moyen de la stipulation qu’elle sera convertie en héritage, devient un propre maternel dans la personne de ses enfans.

Nous avons deux Arrêts, rapportés parBasnage , qui confirment nos maximes. Dans le fait du premier, qui est du SAvril 1858, une femme avoit été colloquée pour sa dot, à l’ordre des deniers du décret des biens de son mari : sa collocation étoit aux mains du Receveur des Consignations quand elle mourut ; par l’Arrét, les deniers furent ajugés à l’héritier au propre. L’autre Arrêt, qui est du a Mai 1681, est dans le même esprit ; il declara immobiliaire & propre l’opposition du fils, formée au décret des biens de son pere pour le paiement de la dot de sa mere, & accorda aux enfans de l’opposant un tiers coutumier sur les deniers de la collocation.

Nous avions cependant outré notre Jurisprudence : on estimoit autrefois, en Normandie, propre de ligne, la dot que la fille s’étoit constituée de ses deniers, de sorte qu’elle étoit ajugée dans sa succession aux héritiers des propres, à l’exclusion des héritiers aux acquets. Bérault rapporte un Arrêt du 8Août 1580, qui décide de même ; & Basnage nous a transmis les Arrêts de l’Arcanier & de Bizet, qui contiennent l’erreur autorisée par l’Arrét de 1580. La Cour a enfin fait publier, dans les Bailliages du ressort, un Arrét en Régle-ment du 2y lanvier 1vas, qui ordonne que de la totalité des biens dont sera composée la dot des femmes, la partie qui leur sera provenue des meubles à elle échus de la succession de leur pere & parens collatéraux, sera censée acquêt, d’où il fuit évidemment que la dot qu’elle-même s’est constituée doit être réputée acquét.

Quoique la dot soit immeuble & propre, il ne faut pas en conclure que le don mobil d’une somme de deniers qui fait partie de la dot, puisse acquerir dans la personne du mari la qualité d’immeuble, ni dans la personne du fils celle de propre. Il est bien vrai que par la Jurisprudence le mari en peut demander l’intérét au débiteur de la dot comme de la dotmême ; mais il est des capitaux qui produisent intérêt sans être immeubles : d’ailleurs la Coûtume n’introduit une fiction qu’en faveur de la dot, & il n’est pas permis d’étendre la fiction d’un cas à un autre. Il est vrai qu’il y a bien des rapports entre le don mobil & la dot ; mais la similitude est un argument qui prouve qu’il n’y a que de la ressemblance & non pas de l’identité entre ces deux objets ; & j’estime que le don mobil étant encore dû au temps du décés du fils, n’est qu’un effet mobilier dans sa succession.