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DXXII.

Toutes actions personnelles & mobiliaires, sont prescrites par trente ans.

Pour juger si l’action est mobiliaire ou immobiliaire, il faut considérer si la chose demandée par l’action, est un meuble ou un immeuble ; parce que la qualité de l’action dépend de la qualité de la chose demandée, comme il a été dit sur l’Article DIV, ce qui a pour fondement cette regle du Droit, que celui qui a l’action, semble avoir la chose qu’il demande par l’action, l. 62. De acquirendo rerum dominio, l. 25. de regulis Juris, aux Digesles. Or les actions mobiliaires sont prescriptibles par trente ans, encore que l’hypothéque, que est réclle, & qui engage les immeubles, y soit jointe : Et partant les actions pour demander la restitution d’un pret ou d’un dépôt, les actions de tu-telles & de société, qui ont des hypotheques ou tacites, c’est-à-dire, établies. par la Loi, ou conventionnelles, sont sujettes à la prescription de cet Article.

Il n’en est pas de même des rentes foncieres, ou constituées par prix d’argent parce qu’étant réputées immeubles, l’action pour les demander, ne peut être prescrite que par quarante ans.1


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L’action en garantie qui dérive d’un Contrat de vente ou d’échange est une action personnelle ; cependant le vendeur ou ses héritiers ne peuvent opposer à l’acquereur la prescription trentenaire, la prescription ne court au contraire que du jour du trouble & de l’éviction suivant ces maximes reconnuës : Non currit prascriptio evictionis, antequant res fuerit evicta, emptor renditori litem denunciare non potest, antequam lis nata sit, non valenti agere régulariter non currit prascriptio : ce n’est qu’au moment du trouble ou de l’éviction que l’acquereur éprouve une altération dans la clause de son Contrat ou son anéantissement total ; c’est donc en ce moment que l’action en garantie est ouverte. Aussi Bérault rapporte un Arrêt du 17 Iuin 1617, qui recut l’action en garantie intentée par l’acquereur contre les héritiers du vendeur plus de quarante ans apres le Contrat de vente. Dans le fait, l’héritage vendu étoit assujetti à une rente féodale envers le seigneur, conjcintement avec plusieurs héritages ; le vendeur n’avoit fait aucune expression de cette rente dans le Contrat, & le Seigneur s’étoit toujours fait payer de la rente entière sur les tenans des autres fonds qui en étoient pareillement maculés. Ce ne fut qu’apres plus de quatante ans du jour de l’acquisition qu’il plut au Seigneur d’inquièter cet acquereur qui dénoncat aussitût les poursuites aux héritiers du vendeur ; par l’Arrét l’action en garantie fut déclarée valablement intentée. Basnage rapporte un Arrêt du 29 Mai 1653, dans une espèce à peu pres semblable.

Il faut distinguer la garantie personnelle de la garantie hypothécaire ; il est vrai que l’action en garantie qui est dirigée contre ceux qui sont personnellement obligés ne court que du jour du trouble. Il n’en est pas de même de la garantie hypothécaire : car quoique celui qui prétend qu’un héritage est hypothéqué à sa garantie ne puisse demander des dommages & intéréts avant le trouble, il peut cependant interrompre la prescription en faisant assigner le tiers-détenteur en déclaration d’hypotheque ; & s’il néglige d’intenter cette action, le tiers. détenteur pourra lui opposer la prescription : car si le tiers-détenteur ne pouvoit avant le trouble preserire l’hyporheque d’une garantie, il n’y auroit personne, même aprés cent ans, qui fut assuré de la possession de son héritage, & de toutes ces actions en garantie on verroit naître sans cesse la confusion & l’embarras. Loiseau, du Déguerpissement, Liv. 3, Chap. 2, n. 17 ; d’Argentré , sur Bretagne, Art. CCLXXIil, n. 13, 14 & 15.

La garantie personnelle se prescrit même dans le cas de la cession des rentes. Si le cessionnaire, quoique bien payé par le débiteur originaire de la rente, n’agit pas dans les quarante ans en déclaration d’hypotheque contre le cédant il ne pourra dans la suite inquiêter le cédant ni ses héritiers quand même le débiteur seroit devenu insolvable.Bas -nage rapporte un Arrêt qui a débouté le cessionnaire de sa demande en garantie, formée aprés quarante ans du jour du transport.

Un Contrat peut renfermer des actions de différentes espèces : Vous donnez trente mille livres à un particulier à constitution, mais à charge qu’il employera vos deniers dans l’acquisition d’un fonds ; vous avez deux actions contre votre débiteur, l’une pour vous faire payer les arrérages de la rente, l’autre pour le contraindre à faire l’emploi auquel il s’est assujetti par le Contrat ; la premiere action a quarante ans de durée, l’autre se prescrit par trente ans ; ainsi aprés trente ans vous ne pourtiez pas répêter le sort principal sur le prétexte que l’emploi n’auroit pas été fait. Vuyer le Traité des Obligations.

L’on distingue vulgairement deux sortes d’interruption qui empéchent le cours de la prescription ; l’interruption naturelle & l’interruption civile ; la prescription est interrompue natu-rellement quand le possesseur a perdu sa possession par an & jour ; car un trouble, qui ne consiste que dans une voie de fait qui a été incontinent repoussée, ne peut faire d’obstacle à la prescription ; l’effet de l’interruption naturelle profite à tous ceux qui y ont intéret, parce qu’elle vient de la personne qui prescrit & qui a cessé de posseder, & qu’elle est réelle ; l’interruption civile se fait par tous les actes déterminés par la Loi, quoties adus tacitam, aut expressam vel presumptam jutis alieni vel debiti confessionem implicat, dit d’Argentré , Art.

CCLXVI, Cl. 5, n. 3, toties fit interruptio civilis ; elle se fait le plus souvent par un ajournement libellé accompagné de Titres, & suivant des Auteurs célèbres, même devant un Juge incompétent, a cause du conflit des Jurisdictions qui rend l’erreur plausible, & de l’intention du demandeur qui se montre dans le temps de droit : l’interruption civile, n’ayant été introduite que par fiction, ne sert qu’à celui qui y a eu recours.

L’Ordonnance de Ro-ssillon, dont M. Pesuelle fait mention sous l’Article précédent, & qui a introduit la péremption telle qu elle s’obse-ve dans le Pays coutumier, n’a pas d’abord été recue au Parlement de Normandie : elle est cependant quelquefois favorable ; ainsi il seroit à souha ter que la péremption & la prescription march-ssent en premiere instance d’un pas égal en cette Province, comme en Bretagne, pour éviter les fatigues de recommencer une Procedure. Tous les Auteurs conviennent que les actes probatoires peuvent se séparer de Pintance, & qu’ils subsistent, quoique l’instance soit déclarce périe. On tire une conséquence simple de ce principe généralement recu : N’est ce pas donner assez à l’Ordonnance de Roussillon que de lui accorder, contre l’ancien droit, le pouvoir de lever l’interruption de la prescription formée autrefois par la contestation en cause 1 VoyerDevolant , verb. Péremption :Hévin , surFrain , Chap. 83, n. 20. Mais aussi quand elle est acquise en cause d’appel, il seroit à propos que le Juge la suppléât d’Office comme un moyen administré par le droit paublie pour le maintien de la tranquillité des familles, ou du moins qu’on rejertât toutes ces renonciations tacites à la péremption confommée, induites de certains actes que les Parties font le plus souvent sans connoissance de cause.

L’intance d’appel étant tombée en péremiption, on ne peut appeller de nouveau en se desistant du premier appel, quoique le second appel s’interjette dans les dix ans de la Sentence : Arrét du 5 Mai 1747.

Je n’expliquerai point les différentes causes qui interrompent le cours de la péremption, on cite communément la mort ou le changement d’état d’une des parties, ou du procureur, le compromis, &c. ; vous apprendrez le surplus dans nos livres. Si un tiers intervient sur Pappel d’une Sentence qui, quoique relevé, n’a point été suivi, son intervention leve la péremption : Arrêts des 26 Mars 1726, & 2A4 lanvier 1727. L’appel comme d’incompétence ne tombe point en péremption.

C’est une regle générale que l’action intentée pour des choses impreseriptibles, n’est point sujette à la péremption ; car si on pouvoit séparer l’action de la chose même pour rendre la premiere pétissable, & l’autre imprescriptible, il s’ensuivroit, dit un Autcur célebre, qu’il n’y auroit rien qu’il ne subit la Loi de la prescription.

Quoiqu’une instance appointée & distribuée au Parlement ne tombe point en péremption par le laps de trois ans, elle se prescrit cependant par trente ou quarante ans, selon la nature de l’action : Arrêt du 7 Juin 1731. Les Auteurs de Paris artestent comme un principe, que dans ce cas on ne peut opposer que la prescription de trente ans.M. du Parc Poulain , sur Bretagne, Tit. 15, Art. CCLXXVIII, dit qu’il est de maxime en Bretagne, pour les instances du Parlement, que si la cause a été mise au rôle ou appointée, la péremption n’a plus lieu, & l’instance ne peut être éteinte que par la prescription de trente ans.

On pense aussi, continue le même Auteur, qu’elle est perpétuée pendant trente ans du jour de la distribution. Le motif est qu’on ne peut faire des Sommations de juger aux Cours Souveraines.