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DXXX.

Faculté de racheter rentes constituées à prix d’argent, ne se peut prescrire par quelque laps de temps que ce soit, ains sont telles rentes rachetables à toujours, encore qu’il y ait cent ans.

Les rentes constituées à prix d’argent ont deux conditions nécessaires, & sans lesquelles elles ne sont point reputées légitimes : L’une, que le créancier qui est réputé acheteur d’un revenu, aliéne pour toujours le prix ; c’est-à-dire, qu’il ne le puisse répêter sur le débiteur : L’autre, que le débiteur, qui est réputé le vendeur, ait la faculté perpétuelle de pouvoir racheter le revenu qu’il est censé avoir vendu ; c’est-à-dire, de s’en pouvoir libérer. Donc le contrat de constitution de rente à prix d’argent, est venditio reditus perpetuù redimibilis à venditore, & emptio per pretium in perpetuum dalum ab emp-fore, suivant l’Extravagante Regimini, De emptione G venditione, qui est du PapeCaliste III . C’est pourquoi la faculté de racquitter étant essentielle au contrat, il étoit nécessaire de déclarer que cette faculté est imprescriptible par quelque temps que ce soit, encore qu’il y eût cent ans, suivant les termes de cet Article. Il y a plusieurs remarques à faire sur ces rentes.1

Premierement, par une Ordonnance de Charles I de 1565, toutes rentes de bled, constituées à prix d’argent, en quelque temps que la constitution fait été faite, sont réductibles en argent, à raison du denier douze, & sont declarées perpétuellement racquittables, sans que les créanciers puissent se faire payer des arrérages, tant échus qu’à échoir, qu’en argent & à raison dudit prix, à peine d’être poursuivis comme usuriers : Ce qui avoit été ordonné auparavant par quelques Arrêts du Parlement de Paris ;Louet , R. 12. VideMolineum , en ses Contrais usuraires, queest. 2t, num. 21 5. & AnneumRobertum , lib. 4. cap. 18.

Secondement, on ne peut pas constituer en rente ce qui est dû pour les garrérages de ces rentes constituées à prix d’argent, & tout ce qui aura été payé d’arrérages de la nouvelle constitution, est imputé sur le sort principal ; c’està-dire, diminue la somme déboursée par le créancier lors de la première constitution : On a même jugé, que le créancier d’une rente, ne pouvoit pas obliger valablement le débiteur d’acquitter, pour le payement des arrerages qui lui étoient dûs, une rente que ce créancier devoit à une tierce personne : car cette délégation n’oblige point le débiteur qui l’a accepté, à payer les arrérages de la rente qu’il s’est chargé d’acquitter, lui suffisant de payer quocumque rempore, ce qu’il devroit d’arrérages lors de l’acceptation de ladite delegation : Ne scilices hoc modo usuras usurarum solvere cogeretur, ad quod nullo pacto aut conventione obligari poiest, non obstantibus quibuscumque

Juiiciis, & quocumque tempore, quoiqu’on puisse constituer ce qui est dû par le fermier ou locataire en vertu du bail, & qu’on puisse semblablement constituer en rente ce qui est dû d’arrérages d’une pension ou d’un Douaire ;Louet , R. 53.

Mais ce nonobstant, on peut en baillant de l’argent, obliger le preneur d’acquitter une rente constituée au denier dix ou quatorze ; & si ce preneur n’ac-quitte ces rentes dont il s’est chargé, on le doit condamner à en payer les arrérages ; c’est-à-dire, à défintéresser le bailleur, qui n’est point réputé tirer un intéret usuraire, parce qu’il se seroit lui-même libéré de l’argent qu’il a confié au preneur.

Troisiemement, le cessionnaire d’une rente constituée legitimement au denier dix ou quatorze, s’en peut faire payer par l’obligé jusqu’à ce qu’elle soit amortie : mais s’il poursuit son cédant pour la garantie, en vertu de la clause de fournir & faire valoir, il ne pourra obtenir condamnation contre lui, pour le contraindre à payer les arrérages, sinon à raison du prix du contrat de cession, & de celui qui est prescrit par les Ordonnances pour les constitutions de rentes hypotheques observées ou lors du transport ou lors de son action en garantie, suivant qu’il a été remarqué sur l’Article XL. de la Coutume ; mais il pourra conclure contre son cédant, qu’il lui doit restituer le prix du transport, parce que son intention n’a pas été de constituer une rente sur son cédant, mais d’acquérir une rente sur celui qui y étoit primitivement obligé.2 Quatriemement, on ne peut demander que cinq années d’arrérages des rentes constituées à prix d’argent, à moins qu’il n’y ait des diligences valables pour interrompre cette prescription, établie par l’Ordonnance de Louis XII de l’an 1510. Ces diligences sont, ou des poursuites faites en Jugement, sde simples exploits de fommation ou d’assignation ne suffisant pas ) ou des comptes faits avec l’obligé : Mais si ces comptes ne sont pas faits avant les cind ans, par lesquels la prescription des arrérages s’acquiert, ou s’ils ne sont pas faits devant personnes publiques, ils ne sont pas valables à l’égard des créanciers du débiteur, & n’empéchent pas l’effet de cette prescription. Car quoique l’obligé à une rente puisse renoncer à se servir de prescription, cette promesse

ne sert au créancier que contre le débiteur, & non contre les créanciers d’icelui, au préjudice desquels le commun débiteur ne peut renoncer à un droit qui lui est acquis, ni faire revivre ce qu’on peut prélumer être éteint par la prescription : De sorte que cette promesse de ne se servir point de prescription, n’a point d’hypotheque rétroactive au temps du premier contrat, mais n’a hypotheque que du jour qu’elle est faite ; ce qui a été ordonné, pour empecher les fraudes & la collusion d’un débiteur avec un de ses créanciers, pour frutrer les autres. Or ces diligences requises pour interrompre le temps de la prescription, étant faites contre un des obligés solidairement, profitent & ont leur effet contre tous les coobligés, qui sunt correi debendi in quibus factum unius alieri no-et & prodesi, unius interpellatio aut conventio est omniunt interpellatio, 1. penuliima ( ultima, ff. De duobus reis, & uluma, C. eodemt itulo. VoyezLouet , P. 2. Au reste, ce qui a été dit, que le débiteur d’une rente peut renoncer à se servir de prescription, se doit entendre à l’égard des arrérages échus, & non généralement de tous les arrérages à échoir, parce que cette exception a été donnée par une considération publique, qu’un particulier ne peut rendre inutile & illusoire par son consentement, prescrintiont bono publico introduce pacto renuntiari non poiest, l. Jus publicum, ff. De pactis : Autrement, l’intention de la Loi seroit facilement frustrée, par la facilité des contractans, que la nécessité oblige à renoncer à tout ce qui a été prudemment ordonné, pour prévenir les projets injustes des créanciers. Il faut en outre remarquer, que quand les biens de l’obligé sont saisis en décret, la saisie tant qu’el-le subsiste, empèche la prescription des cinq années d’arrérages, & vaut de diligence à tous les créanciers, encore qu’ils ne se soient point opposés en conséquence de ladite saisie, comme il est attesté par l’Article CXLVII dudit Re-glement.3 On peut demander si cet Article du Réglement, se doit entendre indéfiniment, & si n’y ayant que les biens d’un principal obligé, qui ayent été fai-sis en décret, le créancier n’est pas tenu de représenter les diligences, contre un autre obligé solidairement a sa rente, dont les biens n’ont point été compris dans la saisie, quand il lui veut demander plus de cinq années d’arrérages. Videtur quod sic ; parce que cette exception à l’Ordonnance n’est fondée que sur ce que le créancier est réputé ne pouvoir faire de poursuites. utiles, quand les biens de son débiteur sont saisis en décret ; & parce que d’ailleurs le décrétant est réputé poursuivre au nom de tous les autres créanciers : ce qui paroit ne pouvoir pas être étendu à l’espece proposée, en la-quelle les diligences qui se feroient contre l’obligé non saisi, seroient utiles, & lequel de plus, n’auroit rien de commun avec le décrétant qui ne le poursuit point.

Il est à propos d’avertir, que les arrérages des rentes hypotheques ne se payent.

que d’an en an, & qu’on ne peut stipuler utilement, qu’ils seront payés de trois mois en trois mois, ou de six mois en fix mois.


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Laurière , sur les Ordonnances de la troisieme Race, Tome 1, page 7ay, conclut d’une Ordonnance de Philippes V, du mois de Mars de l’an 1320, que les rentes constituées sont beaucoup plus anciennes en France que les Extravagantes Regimini, qui ne sont que des années 1420 & 1455 : il observe que comme tout ce qui est vendu par le propriétaire est aliéné à perpétuité, s’il n’a retenu une faculté de rachat ; ces rentes ainsi venduës par le débiteur sur lui étoient dans l’ancien droit François irracquittables, quand il n’y avoit point dans les contrats une condition contraire Le Pape Pie V décida par une Bulle de l’an 1569, qu’elles seroient rachétables à perpétuité, en rendant le prix qui en auroit été donné, les Cou-tumes qui ont été réformées depuis ont adopté la décision, sans qu’elle tire aucune force de son Auteur. DuMoulin , de Usuris, n. 1a8, avoit prouvé avant ce Pape, puisou’il est mort en 1568, que l’essence de ces rentes consistoit dans la faculté libre & perpétuelle de les racheter. Nec in contrarium pacisci potest, ce sont ses termes, nec in contrarium prescribi po-tess. Il y a cependant des exceptions : le créancier peut forcer le stellionataire, ou le debiteur étant dans une déroute générale de ses affaires à répêter le sort principal de la rente, & la caution a la même liberté aprés un temps differemment déterminé par les Auteurs, & le plus ordinairement de dix ans.

L’aliénation du sort principal à perpétuité, est tellement une clause substantielle de la rente, que par Arrêt du 1s Décembre 1689, rendu sur les Conclusions de M. l’Avocat-l. éné-ral de Mesnilbus, on a déclaré usuraire le contrat de prét d’une somme à rendre toutes fois & quantes, avec stipulation d’intéret, quoique le débiteur eût payé l’intérét de la somme pendant vingt-sept ans, & quoique le créancier voulût induire d’une prestation aussi longue des intéréts, une constitution de rente tacite & présumée. Par l’Arrêt on imputa sur le principal de la dette, les intérêts payés depuis la promesse, & le debiteur fut condamné de rembourser le surplus au créancier. Brodeau rapporte un parcil Arrêt du 20 Mars 1620 : cet Arrét rendu sar les Conclusions de M. l’Avocat-Genéral Servin, fait défenses à tous les habitans des Provinces d’Anjou, du Maine, de Toutaine & du Berrv, de prêter argent à intérét par simples obligations ; & la Cour enioignit aux Juges d’imputer les intéréts, quoique volontairement payés au sort principal, sans muer ni convertir les oFligations en constitution de rente. Je pense que nonobstant la note que j’ai insérée sous l’Article CCCLXVI, que l’on ne peut pas régulièrement convertir le contrat pignoratif en rente ; les Arrêts qui l’auroient ainsi jugé seroient, sans doute, intervenus sur des faits particuliers.

Basnage atteste sous cet Article Dxxx, qu’il est d’un usage constant, en Normandie, que le vendeur doit rendre l’argent ; &Brodeau , surLouet , dit, qu’on tient pour maxime u Parlement de Paris, que le débiteur n’est pas recevable à demander la conversion du contrat pignoratif en constitution de rente ; mais voyer les Auteurs que j’ai cités sous l’Article CeCLXVI, voyer aussi le Journal du Palais, Tome 1.

Quand l’imputation se fait sur le fort principal il est évident qu’on doit remonter u temps le plus ancien.Basnage , sur l’Article Dxxl de notre Coutume, & Brodeau sur Louet Loüet T. Som. 6, établissent une distinction tres-juste, entre la transaction sur l’usure passée, & celle qui est faite sur l’usure à venir : la prescription couvre le vice de la première, mais celui de la derniere ne peut être effacé par aucun laps de temps. L’usure étant contraire au droit naturel, il ne cesse de reclamer contr’elle. Neno beneficia in calendario scribits quid fenus, quid calendarium, & usura, nisi humane cupiditatis extrû naturam quesita nominaz Seneca de benefic. lib. 1 8 7.

Bien des Auteurs pensent que l’on peut stipuler dans un contrat de constitution, que le débiteur de la rente sera tenu d’avertir le créancier deux mois auparavant de rembourser le capital, d’autres prorogent cette stipulation jusqu’à trois mois, & même six mois ; elle a son fondement, sur la crainte de la variation des monnoies, & l’embarras de trouver des moyens de colloquer son argent sans perte ; il y en a qui la rejettent, parce qu’il est naturel, disentils, à un débiteur de se liberer en tout temps. On a jugé, par Arrêt rendu en Grandi-Chambre le 2 Mars 1714, que la clause employée dans un contrat de constitution d’avertir le créancier trois mois auparavant d’en faire le rachat, étoit une clause incivile : Les Parties de cet Arrét étoient les Trésoriers de Saint Herbland de Rouen & les Gardes Orfévres.

C’est un sentiment assez général que la faculté de racheter par parties une rente, stipulée par le débiteur, se prescrit, quoique la faculté de racheter la même rente à une fois soit perpétuelle, parce que l’une dérive de la convention des Parties, & l’autre de la nature de la chose.Bérault .


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Basnage estime que le cessionnaire peut contraindre le cédant, dans le cas de l’insolvabilité du débiteur de la rente, de lui restituer le prix du transport. L’intention, en effet, du cessionnaire avoit été d’acquerir une rente sur le débiteur ; son insolvabilité fait éprouver au cessionnaire le cas de l’éviction, le contrat de transport est donc ancanti. D’ailleurs, présumera-t-on que le cédant ait voulu créer une rente sur lui ; il ne faut pas argu-menter de la clause de fournir & faire valoir la rente qui se trouve dans les acles de cession, & qui y est toujours sous-entenduë en cette Province, car elle est en faveur du cessionnaire ; elle ne doit donc pas tourner contre Basnage rapporte un Arrêt sous cet Article dont on peut induire que le cédant d’une rente, s’en étant chargé à cause de l’insolvabilité du débiteur, & ayant payé volontairement les arrérages, échus depuis l’éviction, à un taux plus considérable que celui qui étoit alors autonisé, ne peut les répêter ni les imputer sur le sort principel ; mais il peut demander la réduction des arrérages à venir sur le pied de l’Ordonnance en vigueur au temps de l’éviction.

Voyey, sur les differens taux des intérêts & des rentes dans les differens Parlemens, & leurs variations, un Mémoire de M.Maillard , inséré dans les Questions posthumes de M.Henrys , à la suite de la troisieme Consultation.


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Bérault avoit rapporté un Arrêt du S Juillet 1613, par lequel le debiteur d’une rente constituée fut condamné à payer dix-sept années d’arrérages ; sçavoir cinq années avant le décret, neuf années pendant le cours du décret, & trois années échues depuis ; & on a jugé, par Arrét du 23 Décembre 1701, qu’un décret, quoiqu’annullé, empèche la prescription de cinq ans, à l’égard des arrérages des rentes constituées, quand même les créan-ciers n’auroient formé aucune opposition au décret : Cette décision est fondée sur l’état d’impuissance où est le créancier d’agir, tandis que le décret subsiste.