Si vous souhaitez signaler des coquilles dans ce passage, vous pouvez écrire à Morgane Pica (ingénieure d'étude du projet), en précisant l'URL et le titre du passage.


C E Chapître fut réglé définitivement comme les autres, ( excepté celui de la Succession des biens de Caux ) en 1583 ; mais depuis, en l’année 16o0, il fut réformé pour les causes & par les Députés des Etats de la Province autorisés par Lettres Patentes du Roi, qui se voyent par le Procés-verbal : il est intitulé des Eaécutions par Décret. Ce mot de Decret est transféré de la Langue Latine, dans laquelle il étoit attribué aux Ordonnances des Magistrats, mais par la Coutume, il est approprié aux ventes des immeubles, qui sont faites sur les poursuites des créanciers, d’autant que ces ventes se font en la présence des Juges, & en exécution de plusieurs de leurs Ordonnances. Dans quelques Coûtumes, ce que celle de Normandie appelle Decret, est signifié par le mot de Criées ; parce que les proclamations qui se doivent faire, pour rendre notoires les diligences qui sont requises pour parvenir à l’adjudication des biens de l’obligé, sont les solemnités les plus nécessaires. On y a de plus prescrit quantité d’autres formalités, l’omission desquelles rend le Décret nul, sous le prêtexte que la vente des immeubles est de grande conséquence, tant pour la réputation du débiteur, que pour sa fortune. Mais il lemble qu’on devoit encore avoir plus d’égard au lien de la société civile & à la bonne-foi, qui ne peuvent être conservées, si on néglige de faire exécuter les choses promises ou jugées, & si on ne contraint les obligés par toutes sortes de moyens les plus rigoureux, à s’acquitter de ce qu’ils doivent : tant s’en faut que leur cause soit favorable, lorsque ne pouvant contester leurs obligations, ils alléguent des nullités, qui ne sont fondées que sur des defauts de formalités omi-ses ou mal faites par les Officiers, par le ministere desquels les actes nécessaires pour la perfection du Décret ont été faits. Il n’auroit pas été difficile de trouver des moyens faciles & de peu de frais, par lesquels les défenses & oppositions des saisies seroient bien & sommairement jugées : & par lesquels d’ailleurs, les créanciers & autres intéressés auroient é-é suffisamment avertis, afin de se présenter pour la conservation de leurs droits ou de leurs créances.

Mais le File, les Juges & les Ministres de Justice, ont considéré les Décrets comme une proie, & veulent avoir chacun leur part au débris qui arrive par le Décret ; & sans avoir égard ni à la misérable fortune des Décretés, ni à la perte que souffrent les légitimes créanciers, on a accumulé les droits fiscaux, les formalités, les actes judiciaires, les vacations & salaires des Juges, de telle manière, que dans les Décrets des biens de petite ou de médiocre valeur le prix n’est pas suffisant pour payer tous ces frais ; & que dans les autres Decrets, une partie trés-considérable du prix se trouve consumée, parce qu’à proportion de la valeur des biens décretés, les frais sont augmentés par l’avarice des Juges, qui taxent leurs épices par Rapport, non à leur travail & vacations, mais au prix de la vente & de l’adjudication.

Comme tous les Articles de ce Chapitre ne sont presque qu’une déclaration de toutes les folemnités requises pour un Décret, on le peut diviser en quatre parties, pour en faire l’explication avec quelque méthode. La premiere est, de ce qui est nécessaire avant la saisie : la seconde est, de ce qu’il convient faire lors de la saisie, & apres, jusqu’à l’adjudication : la troisieme est de l’adjudication : & la quatrieme est, de la Sentence d’Ordre, que l’on appelle l’Etat en cette Province. Pour donner donc une connnoissance claire de tous les actes nécessaires pour la perfection d’un Décret, il est à propos de reprendre ces quatre parties, & de représenter par un discours fommaire & général, l’ordre & la connexité qui est entr’elles.

PRE MIERE PARTIE.

Q Uant à la premiere, il est requis que le saisissant ait des pieces d’écriture, qui ayent une exécution, que les Auteurs sur le Droit coutumier appellent parée, parce qu’elle n’a plus de besoin d’aucune Ordonnance du Juge ; mais requiert seulement le ministere des Huissiers ou Sergens, qui sont des Officiers établis pour être exécuteurs. Or ces pieces sont des actes de Jurisdiction, qui est ou volontaire ou contentieuse. La Jurisdiction volontaire est celle des Tabellions ou Notaires, parce que les contractans qui comparoissent volontaire-ment devant les Tabellions ou Notaires, pour avoir une attestation valable. & probante des conventions, promesses ou reconnoissance qu’ils font devant ces personnes publiques, semblent se soumettre à un Juoement, d’autant que confessi pro iudicatis habentur, l. 2 & 3. ff. De confessis. La Jurisdiction contentieuse est celle des Juges, qui ont pouvoir de juger les différents qui arrivent entre les particuliers qui sont dépendans du Gouvernement d’un Etat politique.

Les actes de la volontaire, sont les contrats : ceux de la contentieuse, sont les Sentences & Arréts. Toutes ces pieces, pour être exécutoires, doivent avoir la marque de l’autorité publique, qui est le Sceau, lequel est ou Royal, ou des Seigneurs de Fief : ce dernier, que les Ordonnances appellent authentique, pour le distinguer du Royal, encore que l’un & l’autre, à proprement parler, soient authentiques, authoritatem ex se habens, derivatoez Juris fontibus nomine ( comme a ditBourdin , dans son Commentaire sur l’Ordonnance de 1539. ) n’est exécutoire, tant pour les Contrats que pour les Sentences, que dans l’etenduë des Justices Seigneuriales dont il dépend : c’est pourquoi hors ce district, il faut une permission du Juge du lieu dans lequel on fait l’exécution, ou des Lettres de Chancellerie qu’on appelle Artache. Mais le Sceau Royal apposé aux Contrats, est exécutoire dans tout le Royaume, par l’Article LXV de l’Ordonnance de 1539. Il est néanmoins de l’usage, que quand on veut excéeuter en vertu d’un Contrat hors des limites du Tabellionnage. où il a été passé, on prend un Visé ; c’est à-dire une permission du Juge du lieu où l’exécution se doit faire. Mais quant aux Sentences & Jugemens des Juges Royaux, lorsqu’on les met à exécution hors le district du Juge qui les a rendus, il faut prendre un Visit du Iuge du lieu où l’on veut exécuter, ou les Lettres de Chancellerie, qu’on appelle Artache ou Parealis : il faut voit l’Ordonnance de 1667, au Titre de l’Exécution des Jugemens, Article VI, à l’égard des Arrêts. VoyezLoyseau , Livre 2. des Offices, Chapitre, où il a fort bien expliqué l’origine, la cause & l’effet des Sceaux, & le Livre premier du même Traité, Chapitre VI, touchant le ministere & le pouvoir de Tabellions & Notaires, tant Royaux que subalternes.

Il faut remarquer deux Usages de la Province de Normandie, & qui sont attestes par les Articles CxxI & & Cxxx du Réglement de 1688, en ces termes : Le Jugement ou Contrat qui étoit exécutoire contre le défunt, l’est aussi contre T’héritier, tant sur les biens de la succession, que sur ceux dudit heritier, suns qu’il soit besoin d’agir contre lui, pour faire déclarer lesdits Contrais E Jugemens exécutoires. L’Article CXxx, qui devoit être mis avant le CXXIx, parce qu’il en est le principe, porte : Les héritiers sont obligés solidairement & per sonnellement aux destes du défunt, sauf leur recours contre leurs cohtritiers, pour la part qu’un chacun d’eux a en la succession.

Aprés ces remarques, il faut venir à l’explication du premier acte d’un Décret, & qui doit être fait en vertu des pieces exécutoires ; c’est le comman-dement de payer, qu’on doit faire à celui qu’on entreprend de décreter : ce commandement est ce qu’on appelle la Sommalion en décret. Trois clauses y sont nécessaires : la première est la demande d’une chose certaine & liquide, comme d’une somme d’argent, ou d’une quantité précise de grains, ou d’autres especes, dont l’appréciation se peut faire aussi-bien aprés la saisie qu’au-paravant, par l’Article LXXVI de ladite Ordonnance de 1539. La seconde est l’interpellation de bailler ou indiquer des biens-meubles exploitables, suffisans pour le payement de ce qui est demandé : cela a été retenu de l’ancien-ne pratique observée dans le Pays coutumier, par laquelle on suivoit l’ordre des exécutions, déclaré dans la Loi à divo Pio, S. in vendilione, ff. De re Judicala, qui est tel, qu’il faut discuter les meubles auparavant que de saisir les immeubles. Mais quoique par cette même Ordonnance, en l’Art. LXXIV. cet ordre ait été abrogé, & qu’on puisse directement saisir les immeubles, sans faire aucune perquisition des meubles, la Coutume ordonne qu’on somme l’obligé ou ses représentans, de bailler des meubles exploitables : cette sommation non-seulement n’engage pas à faire aucune saisie des meubles, mais non pas même à différer long-temps la saisie des immeubles. C’est ce qu’on signifie par la troisieme ciause, qui contient que faute de payement ou de bailler des meubles exploitables & suffisans l’intention du requérant est de faire procéder à la saisie des immeubles appartenans ou ayant appartenu au débiteur, ou à ceux qui le représentent. Il faut de plus observer dans cet exploit plusieurs formalités, qu’il soit fait à personne ou au domicile, que le véritable domicile du requérant non-seulement y soit exprimé mais qu’il soit de plus déclaré un domicile par lui élu dans le lieu où se doit faire le Décret, quand il n’y demeure pas ; que cet Exploit soit fait en présence de deux témoins, ce qui a été ordonné par deux Arrêts donnés en forme de Réglement rapportés parBasnage , l’un du premier de Juillet 16ys, & l’autre du zL6 de Juin 1678 ; ces témoins doivent souserire, ou au moins y appo-ser leurs marques ; ce qui suffit au cas qu’ils ne puissent écrire, suivant qu’il a été jugé par un Arrêt donné sur un partage de la Grand Chambre le 23 de Juillet 1é8y, rapporté par ce même Commentateur : & il faut enfin qu’il soit baillé copie des pieces obligatoires, en vertu desquelles le Décret doit être poursuivi.

Or il n’est pas nécessaire que cette fommation soit faite à tous les héritiers de l’obligé, parce qu’étant tous obligés personnellement & solidairement, suivant ledit Article CXxx du Réglement, sunt corret debendi, in quibus unius conventio & inierpellalio, est conventio C interpellatio omnium : il n’est pas de plus nécessaire, que cette sommation soit faite à l’acquereur ou tiers détenteur de l’héritage ayant appartenu à l’obligé, par l’Article DXLVI, que si cette sommation a été faite à un obligé, & qu’il décede dans l’an, avant que la saisie ait été faite, il n’est pas nécessaire d’en faire une autre à son héritier, comme il est attesté par l’Article CXXXIII dudit Réglement.

Il faut enfin ajouter, que quoique les mineurs n’ayent pas été compris dans la disposition dudit Artiele LXXIV de l’Ordonnance de 1539, & que partant il faille à leur égard suivre l’ordre ancien, & discuter leurs meubles auparavant que de pouvoir saisir leurs immeubles, comme Bourdin l’a remarqué dans son Commentaire sur cette Ordonnance ; néanmoins la Coûtume n’ordonne pas que les meubles des mineurs soient discutés auparavant qu’on saisisse leurs immeubles ; mais elle requiert seulement, que les Tuteurs soient sommés de bailler des meubles exploitables & soient assignés pour bailler un compte sommaire dans la quinzaine, & au cas qu’ils ne baillent point ce compte dans ledit délai, ou que l’ayant baillé, il paroisse qu’ils n’ont point de deniers en leurs mains, ou même si ayant des deniers, ils ne les payent pas dans un autre délai qui n’est que d’une quinzaine ; en tous ces cas, le créancier peut passer outre à la saisie en décret, sauf le recours des mineurs contre leurs Tuteurs, suivant qu’il est expliqué par les Articles DXCI & DXCII. Aux autres Coutumes où il faut discuter les meubles du mineur auparavant que de décreter leurs immeubles, les Tuteurs ne peuvent se dispenser de bailler devant le Juge compétent du Décret, un compte, ou plutot un bref état de leur administration, & il ne leur suffiroit pas de déclarer, qu’ils n’auroient ni deniers ni meubles appartenans à leurs pupilles,Louet , M. 15.

SECONDE PARTIE.

I.

a seconde partie de la division, qui comprend la saisie & tout ce qui se fait jusqu’à l’adjudication, est composée de la saisie, des criées, du record, de la certification, de l’interposition, qu’on appelle aux autres Coûtumes, le congé d’adjuger.

a l’égard de la saisie, il faut distinguer les biens nobles d’avec les non nobles, & commencer par les formalités qui sont communes à ces deux sortes de biens, auparavant que d’exposer celles qui leur sont particuliers. Premierement, il est nécessaire que la saisie soit faite dans l’an & jour de la somma-tion, par l’Article DXLVII. Secondement, il faut qu’elle soit faite à l’issuc de la Messe Paroissiale du lieu ou sont situés les héritages qu’on saisit, à moins que cette Eglise ne soit hors le ressort de Normandie, auquel cas il faut faire la saisie au jour ordinaire du plus prochain Marché étant dans ledit ressort, par les Articles DLIV & DLV. Troisiemement, il faut faire la lecture de toutes les piecees obligatoires, en vertu desquelles la saisie est faite, ensemble de la déclaration des choses saisies, & du prix que le saisissant est obligé d’en offrir, par les Articles DXLVIII, DLVI & DLXIII. Quatriemement, il faut mettre par placard aux portes de l’Eglise ou aux pôteaux du Marché, une copie de la saisie, qui contienne ladite declaration des choses saisies, par l’Article

DLVIII. Cinquiemement, la saisie doit être faite en présence de trois témoins pour le moins, autres que les Records ordinaires, de l’Huissier ou Sergent, par l’Article DLIV, le domicile desquels témoins doit être déclaré, & ces mêmes témoins doivent signer ; c’est-à-dire, souscrire l’original & la copie de la saisie. Sixiemement, le véritable domicile du saisissant doit être déclaré ; & en cas qu’il soit resséant hors la Vicomté, Bailliage, ou autre Justice où les héritages faifis sont situés, il faut de plus déclarer l’élection d’un domicile qu’il fait dans l’etenduë de la Jurisdiction où le Décret doit être poursuivi. Septiemement, il faut que le saisi soit actuellement dépossédé de la chose saisie, ce qui se fait par l’établissement des Commissaires, qui sont mis en possession pour la conservation de la chose, & pour l’aménagement des fruits, afin que l’héritage ne dépérisse point, & que les revenus puissent être utilement employés au payement des créanciers, & à l’acquit du débiteur. Cette dépossession est nécessaire afin que le véritable propriétaire ne puisse pas prétendre cause d’ignorance du Décret, comme l’enseigne le Maître en son Traité des Criées, Chapitre 17, elle se devoit faire par le Sergent ou Huissier en faisant la saisie, parce que la Coutume leur enjoint par l’Article DXLIX, d’établir lors des Commissaires bons & solvables : Mais depuis la création des Offices de Commissaires aux Saisies réelles, ce sont ces Officiers qui font cette dépossession, par les baux judiciaires qu’ils font faire devant le Juge du Décret.

Aprés avoir parcouru les formalités qui sont communes aux biens nobles & non nobles, il faut considérer celles qui leur sont particulières. Chaque piece des héritages non nobles, doit être distinouée & désignée dans l’exploit de saisie, par tenans & aboutissans ( ce sont les bouts & côtés, ) on doit mettre un prix certain & distinct sur chacune de ces pieces, & il est requis que la saisie en soit faite en toutes les Paroisses où il y a de ces héritages, par les Ar-ticles DXLVII, DXL. VIII & DLIV. Mais pour les terres nobles, il n’est pas nécessaire de faire une distinction de toutes les pieces d’héritages qui composent le Fief, il suffit de le saisir en général, en toutes ses circonstances & dé-pendances ; car on a suppléé à ce défaut d’instruction, par la déclaration que le saisissant est obligé de mettre au Greffe incontinent aprés la saisie : la forme, les suites, & les effets de cette déclaration, sont expliqués dans les Articles DLXIV, DLXV, DLXVI, DLXVII & DLXVIII. De plus, il suffit de mettre un prix par une feule somme, sur tout le Fief & toutes les parties d’icelui, suivant les termes de l’Article DLXIII. Enfin, il n’est pas nécessaire de faire la saisie en toutes les Paroisses où s’étend le Fief, mais il suffit de la faire en la Paroisse où le Manoir Seigneurial du Fief est placé, & dont il porte le nom ; car s’il est assis en une autre Paroisse que celle dont il porte le nomil faut faire la saisie en deux Paroisses ; sçavoir en celle où est le Manoir, & en l’autre dont le Fief porte le nom, par l’Article DLXIx, qui ne parle que des criées, & non de la saisie, à l’égard de laquelle l’Article DLXII semble requérir qu’elle soit faite seulement en la Paroisse où le Manoir est situé. Que si les deux Paroisses sont si éloignées l’une de l’autre, qu’un Sergent ne puisse pas en un même jour faire les saisies à l’issue des deux Messes Paroissiales, on pourra se servir de deux Sergens ; & celui qui fera la saisie en la Paroisse du principal Manoir, fera la lecture des pieces obligatoires sur les originaux d’icelles ; mais celui qui la fera en l’autre Paroisse dont le Fief porte le nom, fera ladite lecture sur des copies collationnées par un Notaire,

Tabellion ou Greffier, suivant l’Article DLXX. On appelle ces collations, des Vidimus.

Aprés la saisie faite, il faut faire les criées, non incontinent mais quarante jours apres, si les héritages saisis sont non nobles, ou trois mois aprés, si les héritages sont nobles. Ces criées doivent être continuées par trois Dimanches consécutifs, aux Paroisses ou aux jours de Marché où la saisie a été faite, & il y faut observer les mêmes solemnités ; car il faut faire la lecture de toutes les pieces obligatoires, de la déclaration des choses saisies, des prix que le saisissant y a mis, en présence de trois témoins, autres que les Records, qui doivent signer, il faut de plus afficher le Proces-verbal contenant toutes ces circonstances, à la porte des Eglises ou des pôteaux des Marchés. Ce qui aété dit que les criées devoient être faites quarante jours ou trois mois aprés la saisie, se doit entendre qu’elles ne doivent pas être faites plutôt, & non pas qu’elles ne se puissent faire plûtard, pourvû que ce soit dans l’an & jour de la saisie, qui ne dure que ce temps-là, à moins qu’il n’y ait des poursuites qui en prorogent l’effet ; car toute saisie est annale, comme il a été re-marqué sur l’Article CXI. Neanmoins si le saisissant néglige de faire faire les criées aprés le temps requis de nécessité par la Coutume, les autres créanciers pourront le poursuivre, & demander d’être subrogés en son licu & place, pour continuer les diligences du Décret : Ce qui est pratiqué pour remédier a la collusion d’un créancier avec le commun debiteur, & s’observe de plus, en cas que le saisissant ait transigé avec le saisi, ou soit payé, car les autres créanciers pourront se servir des diligences qui auront éte faites, & les continuer jusqu’à l’entiere perfection du Décret, suivant les paroles de la Loi Cûm unus, S. alier, ff. De rebus authoritate Iudicis possidendis : Si créditer, cui permissum est bona possidère, posseâ recepit debiium suum, coeteri poserunt peragere bonorum venditionem : Mais ils ne pourront pas recommencer par une nouvelle saisie des mêmes héritages, car saisie sur saisie ne vaut rien, comme eil sera expliqué sur l’Article DLXXVI.

Les criées ayant été faites, l’Officier qui les a faites, doit comparoître aux prochains Pleds ou à la prochaine Assise ( en matière de Décret, les Pleds sont toujours pour les biens non nobles, comme les Assises sont pour les biens nobles ; ) & attester en l’Auditoire, non en la Chambre du Conseil, la vérité de ses Exploits de saisie & de criées : c’est ce qu’on appelle Record, & qui est demeuré de l’ancien usage, à cause de l’importance de ces Exploits, car anciennement les Sergens étoient tenus de venir aux Pleds & aux Assises, pour recorder les Exploits qu’ils avoient faits, par une Ordonnance de l’Echiquier, rapportée parTerrien , au Chapitre de l’uffice du Sergent : Or ces attestations. doivent être signées par lesdits Officiers, & les Greffiers qui sont obligés de delivrer les actes de record séparément, doivent y faire mention de ladite signature.

Aprés le record, le Juge peut procéder dans les mêmes Pleus ou dans la même Assise, à la certification, qui est un Jugement, par lequel les diligences sont déclarées bien faites : mais il faut que ce Jugement soit rendu par l’avis de sept, le Juge compris, lesquels doivent signer, sous peine de nullité, la Sentence de certification ; de laquelle signature sera fait mention dans la grosse qui sera délivrée au décrétant. Que si les héritages sont dependans d’une HauteJustice, où il n’y ait assistance suffisante ; c’est-à-dire, de sept Avocats ou Gra-dués, le Juge compris, le décrétant peut faire certifier les diligences aux prochains Pleds ou à la prochaine Assise, en l’un des autres Siéges de la Haute-Justice, ou Siége Royal de la Vicomté ou du Bailliage, dans l’etenduë desquels la Haute-Justice est exercée, par les Articles DLVIII & DLXXI.

Sur quoi il ne sera pas inutile de remarquer, que cette Sentence de certification a été réputée être fort importante, puisqu’on y a requis tant de circonstances si onéreuses, & néanmoins si nécessaires à observer ; vû qu’il faut que cette Sentence soit renduë à l’Audience, par sepr Juges qui en signent la minute, comme s’il s’agissoit de la vie d’un homme. Ce qui a été ordonné, à peine de nullité, parce que cet Acte a été estimé être le fondement de l’interposition, qu’on appelle dans les autres Couûtumes, le congé d’adjuger : & que d’ailleurs il doit donner assurance au décrétant, aux autres créanciers & à l’adjudicataire, que les diligences ont été bien faites, de sorte qu’on ne pourra plus impugner le Décret pour raison de nullité. Mais on auroit dû se souvenir de la premiere cause pour laquelle la certification a été éta-blie, & des effets qu’elle produisoit, dans les temps de son ancienne institution, & on auroit reconnu qu’elle est présentement de peu ou même de nulle conséquence importante. Car la certification a été introduite dans le temps. que les formalites de la sommation, de saisie, des criées & du record, étoient incertaines & différentes, y ayant autant de divers Usages & Styles, à l’égard de chacun de ces actes, qu’il y avoit de Siéges de Jurisdiction. C’est pourquoiil étoit nécessaire, avant que de prononcer que ces diligences avoient été bien faites, qu’il y eût une attestation ( c’est à proprement parler un certificat ) faite par des Experts du Siége où l’on poursuivoit le Décret. Ces Experts étoient des Praticiens, c’est-à sçavoir, des Avocats, des Procureurs des Greffiers, des Notaires, des Sergens ; de sorte qu’on ne pouvoit contester la vérité de leurs attestations, que vraie semblablement ils étoient obligés de signer, pour rendre leur nombre & leur qualité, & ensemble la forme de leur témoignage, constantes & autthentiques, vû qu’elles étoient faites par plusieurs personnes bien expérimentées, publiquement & devant leur Juge.

Le Maître en son Traité des Criées, chap. 25, en décrivant la forme de la certification des Criées, enseigne, qu’il faut qu’elle porte, qu’à jours de Pleds, iceux tenans, lecture a été faite du Procés-verbal des Criées d’un tel héritage, en présence de tels G tels Avocais, Procureurs, Sergens, & autres gens de Pratique, qui ont tout dit & rapporté, qu’elles étoient bien & duement faites, sui-vant les Us o Coûtumes du lieu, Bailliage é Senéchaussée, & à cette cause ouis leurs avis, le Juge les certisie duement failes ( rapportées. Il ajoute ensuite, que le plus grand nombre des Praticiens est le meilleur, pour le moins jusquau nombre de six ou huit. Dont on peut conclure évidemment, que la certification n’est pas maintenant comparable à celle de l’antiquité, vû qu’elle n’est plus fondée sur une attestation d’Etperts, qu’on ne pouvoit contester ; mais est une Sentence de Juges qui déclarent que les formalités qui ont été exactement prescrites par la Coûtume, & qui partant ne dépendent point d’aucun usage particulier, mais d’un général & uniforme, ont été bien observées. Cette Sentence n’a pas plus d’autorité que les autres, puisqu’elle ne rend pas la chose jugée plus assurée, d’autant qu’on en peut appeller trente ans apres ; & que de plus, les Juges qui l’ont donnée, ne sont point obligés de la défendre ni de la garantir.

a quoi bon donc un si grand nombre de Juges, cette prononciation faite comme en plein théatre, & cette signature de ceux qui ont opiné : Ne paroit-il pas que toute cette folemnité n’est plus qu’une illusion, & n’a été maintenue que par l’artifice de ceux qui en profitoient, quoique non-seulement elle soit inutile aux véritables intéressés, mais qu’elle leur soit dommageable, tant par l’augmentation des frais qui en rendent les Décrets plus longs & plus difficiles, par le nombre & les salaires des Juges, qu’il faut convoquer, quand il ne s’en trouve pas assez dans la Jurisdiction où se poursuit le Décret : On peut ajouter, que la certification n’a pas été jugée nécessaire pour toutes les autres ventes qui se font en Jugement, quoique tres-importantes, & pour des biens qu’on reconnoit mériter une protection privilégiée, comme sont ceux appartenans à l’Eglise ou à des mineurs ; n’ayant été ordonné par aucune Loi, que les solemnités qui se doivent pratiquer dans la vente de ces sortes de biens, soient certifiées auparavant que d’en faire l’adjudication. l’Aux prochains Pleds, apres la certification, ou à la prochaine Assise, on procede au passement & interposition du Décret ; c’est-à-dire, qu’on ordonne que les choles faisies seront venduës : en la même Assise où cette interposition a été faite, on passe outre, tant à la réception des encheres, qu’au premier acte de l’adjudication, pour ce qui est des héritages nobles ; mais quant aux héritages non nobles, on ne fait ce premier acte d’adjudication qu’aux prochains Pleds ensuivans l’interposition, par les Articles DLIx & DLXXII.

TROISIEME PARTIE.

C Ette Sentence, qu’on appelle la premiere adjudication, n’est qu’un acte qu’accorde le Juge, des encheres qui ont été faites sans pouvoir adjuger définitivement. Pour mieux entendre cela, il est à propos de remarquer, qu’avant la réformation du Chapitre des Decrets, faite en 16o0, cette premiere adjudication étoit ordinairement la finale, d’autant que le décrétant ni les autres créanciers n’en pouvoient empécher l’exécution, sinon en obtenant des Lettres en la Chancellerie, par lesquelles il leur étoit permis de mettre de nouvelles encheres, tant au profit commun qu’au particulier : ce qu’ils pouvoient faire jusqu’à ce que l’ordre, que la Coutume appelle Etat, fut parfait & confommé. Mais cet usage a été aboli par le changement fait aux Art. DLXXXII, DLXXXIII & DLXXXIV, lors de ladite réformation, de sorte que depuis on ne peut plus prendre de Lettres pour avoir la permission d’enchérir aprés cette premiere adjudication ; mais les créanciers peuvent aux prochains Pleds ou à la prochaine Assise, coucher, c’est-à-dire, faire enrégistrer au Greffe, des encheres à leur profit particulier ; ( on expliquera peu aprés ce que c’est que l’enchere au profit particulier ) au moyen de quoi ladite première adjudication ne subsiste point, & il doit être différé à en faire une autre absolue & finale, jusqu’aux seconds Pleds ou à la seconde Assise, qui se doivent tenit aprés ceux où s’étoit fait cette première adjudication. Mais comme par l’ancien usage, ladite première adjudication étoit finale & exécutoire, si les créan-ciers nobtenoient pas des Lettres pour être permis d’enchérir, nonobstant icelle, ainsi par la réformation faite à cet égard, cette première adjudication. subsiste, si le décrétant ou quelqu’autre creancier ne couche pas au Greffe Ic’est le terme dont se sert la Coûtume en l’Article DLXXXII, des encheres au profit particulier, dans les Pleds ou dans l’Assise, qui sont tenus immédiatement aprés cette premiere adjudication : car s’il n’y a point eu d’encheres enregistrées avant ou lors desdits Pleds ou de ladite Assise, le Juge doit necessairement & indispensablement prononcer la confirmation de ladite premie-re adjudication, & ordonner que l’état sera tenu sur le prix d’icelle, aux prochains Pleds ou à la prochaine Assise, suns que le décreté ni les éréanciers puissent faire rétracter l’adjudication, à raison de la vilité du prix, quand il seroit de plus de la moitié de la juste valeur : ce qui a été jugé par plusieurs Arrêts rapportés sur ledit Article DLXXXII.

Ce qui peut être cause d’une grande surprise au dommage du décreté & des cré anciers, quand par négligence des créanciers ou par l’artifice d’un enchérisseur, on a omis d’enchérir au profit particulier : ce qu’on pourroit éviter & prévenir, en recevant de nouvelles encheres indistinctement, aux prochains Pleds ou à la prochaine Assise, où se doit faire nécessairement la véritable & finale adjudication, lorsqu’il n’y a point eu d’enchere couchée au Greffe, pour le profit particulier.

L’enchere au profit particulier, est une invention particulière à la Coutume de Normandie, par laquelle on a voulu faire éviter ou diminuer la perte d’un créancier, qui a une dette créée & reconnue avant. la saifie, en lui donnant le privilége de payer une partie du prix de l’adjudication qui lui est faite des biens décretés, en consignant au lieu d’argent, le contrat qui renferme sa créance, quoique posterieure à toutes celles qui sont colloquées utilement à l’état : ce qui se doit inférer des Articles DLXXVII & DLXXXV. Le profit que le créancier peut recevoir de l’enchère à son profit particulier, est qu’en cas de retrait il en est payé en argent comptant, & partant il sauve sa créance, qu’il auroit perdue par l’insolvabilité de son débiteur. Cette renchere donc au profit particulier doit être couchée au Greffe, suivant l’expression de l’Article DLXXXII ; c’est-àdire, doit être enrégistrée à la diligence du créancier enchérisseur dans les prochains Pleds ou dans la prochaine Assise, aprés ledit premier acte d’adjudication ; ausquels prochains Plaids ou prochaine Assise, la lecture doit être faite de ladite encherc ; ce qui fait différer l’adjudication finale qusqu’aux autres Pleds ou Assises ensuivans : lors desquels, au cas qu’il ne se présente personne qui veuille augmenter l’enchere au profit commun, mise par le créancier qui a enchéri à lon profit particulier ( car afin que l’enchere u profit particulier ait effet, il est nécessaire que celui qui l’a couchée, enchérisse par le même moyen, de telle sorte au profit commun, que les autres créanciers puissent profiter de l’adjudication qui lui sera faite ) on fait derechef la lecture de ladite enchere au profit particulier ; & aprés avoir interpellé l’enchérisseur de déclarer s’il y persiste, ( parce qu’il peut s’en départir entiérement, l’augmenter, la diminuer & l’adapter ) on fait l’adjudication finale : aprés laquelle prononcée par le Juge, nul n’est recevable, pour quelque caufe que ce soit, à mettre une nouvelle enchere, à moins qu’à l’instant & avant que le Juge soit descendu de son siége ou suivant l’expression de la Coutume, en l’Article DLXXXIII, avant la levée de la Jurisdiction, il ne se pré-sente quelqu’un, qui déclare qu’il convertit l’enchere au profit particulier en profit commun ; c’est-à-dire, qu’il n’augmente Tenchere au profit commun, de toute la quantité & valeur de l’enchere au profit particulier ; car en ce cas feul, l’adjudication qui avoit été prononcée, peut être rétractée, pour en faire à l’instant une nouvelle à ce dernier enchérisseur.

QUATRIEME PARTIE.

R Este donc la quatrieme partie de la division proposée ; car l’adjudication. étant faite, l’état doit être tenu dans les prochains Pleds ou dans la prochaine Assise, sans aucune prorogation de delai, & nonobsiant quelques Lettres qu’on pourroit obtenir, dit l’Article DLXXXIII ; & partant, quand l’Article DLXXIV déclare, que l’adjudicataire doit tenir état dans la seconde Assise ou dans les seconds Pleds ensuivans l’adjudication, cela se doit entendre quand ce premier acte d’adjudication, qui se fait immédiatement apres l’interposition, a été suivi de l’adjudication finale faite en l’Assise ou aux Pleds ensuivans, parce qu’il n’y a point eu de rencheres au profit particulier ; mais ne se doit pas entendre de la véritable & finale adjudication, aprés laquelle il est manifeste qu’on doit procéder à tenir l’état, dans la prochaine Assise ou dans les prochains Pleds ensuivans.

La tenue de l’état est la distribution du prix des biens adjugés ; elle est appellée dans les autres Provinces la Sentence d’ordre, parce que le Juge ordon-ne, que les opposans seront payés suivant l’ordre légitime de leurs créances.

Pour faire cette distribution, il est nécessaire que le prix soit représenté par l’adjudicataire c’est pourquoi le premier acte de l’état, est de voir si les deniers dudit prix sont représentés : car quand ils ne le sont pas, le Juge doit condamner l’adjudicataire, & par corps, aux intérêts & dépens de tous les opposans, & à la folle enchere, pour la liquidation de laquelle, une nouvelle adjudication doit être faite aux Pleds ou à l’Assise, aprés une proclamation faite à l’issue des Messes Paroissiales, ou au plus prochain Marché, par laquelle proclamation on fait sçavoir, qu’on procédera à un certain jour prefix, à une nouvelle adjudication, qui se fera dans ledit jour préfix, sans qu’on la puisse différer ni recevoir aucun à enchérir au profit particulier : & partant l’ancien usage est abrogé, par lequel, quand l’adjudicataire étoit défaillant d’exhi-ber les deniers qu’il devoit pour son adjudication, on avoit recours sur celui qui avoit mis l’enchere, laquelle avoit été couverte immédiatement par l’enchere sur laquelle l’adjudication avoit été faite, & on le condamnoit à payer le prix de sadite enchère.

Donc la folle enchère à laquelle est condamné l’adjudicataire, est un supplément de ce qui manque au prix de l’adjudication devenue nulle faute de payement, en tant que le prix de cette même adjudication étoit plus grand que celui de l’autre adjudication, qui est faite pour réparer l’inexécution de la première.

Or tout le prix de l’adjudication n’est pas employé au payement des créanciers ; car il est diminué par les frais privilégies, & par les défalcations qu’il faut faire à l’adjudicataire. Les frais privilegiés sont tout ce qui a été dépense pour parvenir à la vente des biens du commun débiteur : Quidquid explicandarum venditionum causd impenditur, suivant les termes de la Loi Quantifas, ff. Ad legem faleidiam, & le S. in computatione, C. De Jure deliberandi.

C’est pourquoi toutes les diligences du Décret, les Sentences de record, de certification, d’interposition, de reception des encheres, & de tous les actes d’ad-judication, sont partie de ces frais, n’y ayant que la Sentence d’ordre ou le cahier de l’état, qui soit levé aux dépens de l’adjudicataire, parce qu’il lus tient lieu de titre & de quittance. Ces frais étant nécessaires, & faits pour une fin commune à tous les créanciers, eorum causa semper precedit, l. 8. ff. Depositt.

On met au nombre de ces frais, les poursuites faites par le décrétant pour faire juger les oppositions ou appellations qui sont formées, pour empécher & interrompre la continuation du Décret, & en outre les vacations & salaires des Juges qui tiennent l’état.

Quant aux défalcations, ce sont des diminutions du prix de l’adjudication qu’il faut accorder à l’adjudicataire, parce que les héritages qui lui ont été adjugés, se trouvent obligés à des redevances annuelles, soit seigneuriales, soit foncieres ; ou à des charges réelles, comme sont les servitudes, qui n’avoient point été déclarées par la saisie ni lors de l’adjudication : ces liquidations de frais & défaleations sont partie de la tenue de l’état ; mais la principale est la distribution qui se fait du reste du prix aux créanciers opposans.

La Coûtume avoit prudemment pourvû à ce que cette distribution se fît sommairement & sans frais, en ordonnant par les Articles DLIX, DLXXIV. & DLXXVII, que les créanciers & les adjudicataires, qui prétendroient se faire colloquer à l’état, pour être payés ou pour être tenus quittes du prix de l’adjudication, seroient tenus de mettre leurs oppositions au Greffe quinze jours avant l’ouverture de l’état, sur peine d’éviction, afin d’être communiquées aux opposans, & d’être colloquées par le Greffier, selon l’ordre de priorité & postériorité : elle avoit de plus ordonné, que les deniers du prix de l’adjudication fussent representés sur le Bureau, au jour de l’ouverture de l’état, pour être distribués aux opposans : le Juge non-seulement n’en pouvant pas dispenser l’adjudicataire, mais étant obligé à l’évincer de son adjudication, & de le condamner par corps aux dépens, dommages & intérêts, même à la folle enchère, tant envers le décreté que les opposans, par les Art. DLXXIV & DLXXXIV, comte il a été remarqué. Or ces deux regles étant exactement observées, la distribution fe pouvoit faire aisément, & s’il faut ainsi dire, sur le champ : car les opposans étant suffisamment instruits par la communication qu’ils auroient cue des pieces obligatoires produites au Greffe par les opposans, pour faire valoir leurs demandes, pouvoient convenir entr’eux de ceux qui devoient avoir part à la distribution des deniers : & d’ailleurs, le Greffier ayant rangé les oppositions suivant l’ordre des hypotheques, il paroitroit évidemment aux yeux du Juge & des intéressés, quels créanciers devroient être payés, & quels ne le pourroient être faute de deniers, ce qui poutroit être jugé & exécuté à l’instant : que s’il se rencontroit quelque difficulté touchant les hypotheques, qui requit quelqu’instruction plus ample, on pourroit régler les parties contendantes, ou en les renvoyant à l’Audience, ou à écnire & produire, en laissant néanmoins la somme débattue en surséance, de sorte que cela ne différeroit point le progrés de l’état, ni n’en augmenteroit point les frais au préjudice du décreté ni des autres créanciers, parce que les dépens seroient prenables uniquement sur ceux qui auroient contesté entr’eux : ce qui est un bon remede, autorisé par la Coutume de Paris, en l’Article CCCLXII.

Mais quant aux frais privilegiés, la déclaration en pouvant & cevant être faite avant l’état, la taxe en pourroit être faite en si peu de temps, que cela ne pourroit pas retarder l’affinement de l’état : & à l’égard des défalcations, il étoit aisé de prévenir, que la liquidation qui s’en doit faire, n’apportât aucun retardement, en ordonnant une somme en surséance, laquelle pourroit être augmentée ou diminuée, quand il paroitroit par l’événement qu’elle ne seroit pas suffisante ou qu’elle seroit excessive, pour lequel effet, ou les derniers emportans deniers seroient depuis colloqués pour une plus grande somme que celle qu’ils auroient recue, ou rapporteroient le tout ou partie du payement qui leur auroit été fait, en exécution de la caution qu’ils auroient été condamnés de bailler.

Mais tout ce bel ordre a été renversé, car au lieu de représenter les deniers sur le Bureau de Justice, on n’y représente plus que du papier, d’autant que depuis l’établissement des Receveurs des Consignations, on tient l’état sur la foi de leurs récépissés, qu’ils donnent facilement, mais qu’ils n’acquittent que lentement, & avec beaucoup de précautions. Plusieurs séances de l’état le passent en Actes préparatoires, à ordonner que le récépissé du Receveur sera représenté, à envoyer l’adjudicataire en possession, à appeller les opposans, à ordonner qu’ils se communiqueront les uns aux autres leurs pieces obligatoires : car on s’est dispensé de l’observation dudit Article DLIx, qui ordonne aux opposans, sous peine d’éviction, de mettre leurs oppositions au Greffe, quinze jours avant l’état, afin qu’ils en puissent prendre communication les uns les autres, de sorte qu’on peut s’opposer jusqu’à ce que l’état soit elos, c’est-à-dire, fini, & conséquemment, le Greffier ne prend plus le soin de ranger en aucun ordre les oppositions qui sont mises à son Greffe ; mais le Rapporteur de l’état fait lecture de toutes les oppositions, en présence des autres Juges & des opposans, sans y observer aucun ordre, parce qu’il fait donner Jugement sur toutes, aussi-bien sur celles qui ne peuvent être colloquées faute de deniers, que sur celles qui le sont utilement, d’autant que les Juges voulant avoir quelque prétexte de faire de grandes taxes pour leurs salaires, font plusieurs vacations en Actes préparatoires & en Jugemens inutiles, de manière que ce qui pourroit être terminé en deux ou trois séances, ne l’est pas en vingt.

Mais pour reprendre ce qui se doit faire à l’état, aprés que le prix a été distribué au payement des choses privilégiéas & des créanciers, le Juge doit prendre soin, que les pieces obligatoires qui ont été acquittées, soient dossées du payement ; c’est-àdire, que le payement qui a été fait de tout ou partie des obligations contenues aux contrats ou pieces obligatoires, y soit déclaré & certifié par la signature du Juge, & ordonner que les minutes en foient émargées. afin qu’elles n’ayent plus d’effet, & que par collusion on ne les puisse pas faire revivre pour en demander le payement une seconde fois. Auparavant l’établissement des Recettes des Consignations, ces obligations endossées ou émar-gées, étoient mises aux mains des adjudicataires, aussi-bien que les originaux des diligences du Décret, parce que toutes ces écritures confirment son titre qui est l’adjudication, en faisant connoître que le Decret a été bien fait, & que le prix en a été utilement & légitimement employé. Mais depuis cet établissement, ce sont les Receveurs des Consignations qui retiennent en leurs Greffes lesdites pieces obligatoires acquittées, pour faire voir qu’ils ont payé les deniers consignés en leurs mains bien que les quittances qu’ils prennent devant Notaires suffiroient pour leur décharge.1


1

Les marques & les signes visibles que les Grecs apposoient sur les fonds engagés, nous prouvent que les ventes solemnelles & forcées n’y étoient pas inconnues ; l’Auteur de la Conférence du Droit Attique & Romain, cite des autorités qui ne permettent pas d’en douter ; à Rome cette Loi écrite en caractere de sang, qui permettoit aux créanciers de couper leur débiteur par morceaux, fit place à l’esclavage pratiqué, ditCésar , parmi les anciens Gaulois, chez lesquels le pere pouvoit vendre son fils pour se libérer ; & ce Droit, qui autorisoit de réduire son debiteur en servitude, subsista, selonForget , jusqu’en l’an 428 de la Fondation de Rome.

La subhastation ou vente solemnelle des immeubles du débiteur sous le javelot ou la pique, est donc le dernier droit des Romains ; mais quel affreux spectacle I Cicéron le rend, dans son discours pour Quintius, avec cette éloquence forte & pathétique qui lui est propre : le tableau ouvre la seene des funérailles d’un homme vivant ; ce ne sont point, dit-il, des amis, des proches qui honorent le convoi de leur présence & des témoignages publics de leurs regrets, ce sont une troupe d’hommes dévoués à la cupidité, dont la soif du lucre s’enflamme & s’assouvit dans le malheur d’un concitoyen, à qui il ne laisse en partage. que la solitude & le desespoir is enim cujus bona sub precone venierunt non modo ex numero vivorum exturbatur, sed S si fieri potest infra mortuos mandatur ; l’Orateur termine ce morceau, qu’on ne peut lire sans être attendri, en disant que les honnêtes gens, les gens de bien n’ont recours à la subhastation que comme au remede le plus extrême, & aprés avoir long-temps éprouvé la mauvaise foi & les artifices condamnables de leur débiteur.

Il faut avouer que cette peinture n’est pas étrangere à nos moeurs ; les fortunes médiocres croulent sous le dédale immense des formalités des décrets ; le créancier se donne beaucoup de mouvemens ; le débiteur se voit dépouillé, & l’un & l’autre sont à peu pres, pour l’ordre de leurs affaires, dans la méme situation qu’ils étoient auparavant. Les Edits introductifs du Droit de consignation, que les mauvais temps ont arraché, aggravent encore tres-considerablement les frais des saisies réelles.

Cependant il reste deux remedes pour adoucir la condition des débiteurs : Le premier consiste à faire observer exactement la Coutume & la Jurisprudence des Arrêts, à re-trancher sans ménagement de la taxe des frais de décret, toutes les diligences inutiles, & à réputer telles celles qui ne sont prescrites ni par la Coutume, ni par les Arrêts, & qu’un usage abusif a introduites, à enjoindre au Procureur du décrétant, ou au plus ancien Procureur des opposans, de dresser & signifier l’Etat sur les pieces des créanciers pour délivrer sur le champ des exécutoires pour les Articles consentis, sauf à faire droit sur les contestations, aux frais de ceux qui succomberont : Le second remede consiste à interdire la voie de décret pour les dettes modiques, & au-dessous de roy livres quand on peut être payé par de simples Arrêts, & au Seigneur même pour les frais de treizième : ce tempérament est si équitable, ditBretonnier , surHenrys , quest. ôr, Tomez, qu’il devroit avoir licu généralement, & pour les riches & pour les pauvres : car c’est blesser la Justice, comme la cha-rité, de saisir & faire vendre les biens d’un débiteur, quand les fruits de ses héritages peuvent satisfaire ses créanciers : tel est l’esprit de notre ancienne Jurisprudence. PoyerAuza -net, sur l’Article LXXIV de Paris.

M. deHéricourt , dans son Traité de la Vente des immeubles, s’est conformé au vou desbons citoyens, lorsqu’il a soupiré apres une Loi uniforme sur le fait des décrets : Henti Il en avoit formé le projet, & il est étonnant que les Magistrats qui ont travaillé à la rédaction des nouvelles Ordonnances sous Louis XIV, ne se soient pas occupés d’une matière aussi intéressante de nôtre droit François. La réformation des abus peut se faire sans attenter au droit municipal de chaque Province, il n’est question que de mêttre dans les ventes forcées de la simplicité & de la publicité ; mais quel fléau que les directions ; Nous avons la douleur de voir chaque jour, chez nos voisins, des procédures ténébreuses & illusoires absorber le patrimoine des débiteurs & le gage des créanciers.