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DXLVI.

En vertu d’Obligation reconnue, Sentence de Justice portant exécution, Contrat passé devant Tabellions ou Notaires, ou autres Let-tres exécutoires, les héritages, rentes & choses immeubles appartenans ou ayant appartenu au débiteur, peuvent être saisis en la main de Justice, pour être décretés, après sommation faite à la personne ou domicile de l’obligé, ou de ses hoirs, ou l’un d’eux, de payer la somme demandée, & pour laquelle on prétend faire décreter l’héritage, sans qu’il soit besoin de faire sommer le tiers-possesseur : & ou l’obligé ou ses hoirs seroient demeurans hors de la Province de Normandie, suffira de faire ladite sommation à l’issue de la Messe paroissiale du lieu où l’héritage que l’on veut décreter est assis.

On a rapporté dans le Discours général, les Articles CxxIx & Cxxx du Réglement de 168d, qui attestent deux usages particuliers de la Coûtume, & qui servent à l’explication de cet Article, auxquels il faut ajouter les Articles CXXXI & CXXXVIII dudit Reglement, qui en confirmant la regle, que le créancier n’est point obligé de discuter les biens du débiteur, ni de ses cautions, auparavant que de pouvoir saisir les biens de l’acquereur ou tiers-pos-sesseur, font connoître néanmoins qu’on a eu quelqu’égard à l’équité des Authentiques, Hoc si debitor, De pignoribus & hypoilecis, & Sed hodie, De oblipationibus & actionibus, au Code, qui sont contraires à cette regle. Le Parlement ayant par ses anciens Arrêts, dont lesdits Articles CXXXI & CXXXVIIIont eté formés, donné deux moyens aux acquereurs de conserver la possession de leurs acquêts, nonobstant le droit d’indivis, que l’hypotheque attribue aux créanciers, sur tous les biens appartenans ou ayant appartenu à leurs obli-gés : car en baillant une déclaration par tenans & aboutissans, des héritages qui sont encore en la main de leur auteur, ou de ceux qui ont été aliénés par lui depuis leur acquisition, pour être décretés à leurs périls ; ils peuvent empécher la décrétation des biens par eux acquis, & obliger le créancier à faire le Decret des héritages dont ils auront baillé la déclaration : mais il faut qu’en même-temps. ils baillent une bonne caution, que le créancier, au moyen du Décret qu’il fera, sera pavé de sa dette, en exemption des frais du Déeret & du treizieme.

Voila quel est le moyen expliqué par ledit Article CXXXI. L’autre moyen est déclaré par ledit Article CXXXVIII, en ces termes : Celut qui a acquis les héritages avant qu’ils fussent saisis par Decret, peut demander le payement des dettes par lui acquittées, anterieures de celle pour laquelle la suisie est requise, ou obliger le saisissant de bailler caution de les faire porter en exemption de treivieme & frais du Décret.

Le Maître en son Traité des Criées, au commencement du Chapitre 32, rapporte un Arrêt donné au Parlement de Paris, par lequel il a été juge, qu’un créancier qui a une hypotheque spéciale, que ies autres créanciers soutiennent être suffisante pour le payement de sa dette, la doit diseuter auparavant que de pouvoir rien prétendre sur les autres biens appartenans au commun débiteur, quoiqu’ils lui fussent engagés par une générale hypotheque ; ce qui est conforme à la décision de la Loi Quamvis 2. C. De pignoribus. Mais ce même Auteur enseigne, que cette Loi se doit entendre entre des créanciers, & non à l’égard du débiteur, dont on peut sans aucune distinction, saisir & faire vendre tous les biens, & même arrêter la personne, quand l’obligation est par corps, le concours d’exécution ayant lieu en France, par l’Ordonnance de 1539, en l’Article LXXIV.

Il y a encore plusieurs remarques à faire, pour plus grand éclaircissement de cet Article DXI. VI. Premièrement, s’il ne se présente point d’héritiers de l’obligé qui est décédé, il faut faire une perquisition à son domicile, & faire les sommations & ajournemens aux héritiers en général, suivant la forme prescrite en l’Article DLXXXVII, c’est ce qu’on appelle contumacer les héritiers en général. On a expliqué sur l’Article LXXXVI, le lieu qui doit être réputé le domicile d’un défunt. Secondement, si on décrete les biens d’une femme mariée, il faut que la sommation, la saisie & les autres diligences, soient faitos contre le mari & la femme conjointement : parce que la femme mariée étant sous la puissance d’un mari, ne peut contracter ni se présenter en Jugement, sans être par lui autorisée : & d’ailleurs le mari, quand il s’agit de la propriété des biens de sa femme, ne peut pas faire de contrats, ni de demandes ou défenses en Justice, sans l’intervention de sa femme comme il a été remarqué sur l’Article DXXXVIII. Troisiemement, on ne peut pas décreter pour une petite somme, quand le revenu d’une année du fonds qu’on faisit, est plus que suffisant d’acquitter la dette : ce qui a été jugé par un Arrêt du 4 d’Août 1631. Quatriemement, on n’estimoit pas autrefois, qu’un Seigneur de Fief pût faire décreter pour ses rentes seigneuriales ni pour le treizieme, parce qu’il peut se faire payer sur les fruits, de sorte qu’il lemble qu’il ne prend la voie du Décret, que par un esprit de vengeance & de vexation : mais on a jugé le contraire en un cas où il étoit dû plusieurs années d’arrérages, par un Arrêt du 20 de Mai 16ys, & à l’égard du treizieme par un Arrêt du 23 de Janvier 1661. Cinquiemement, on a de plus jugé contre l’ancienne Jurisprudence, que la plus-pétition n’étoit point un vice suffisant, pour faire casser un Décret, quand la meilleure partie de la dette que l’on avoit demandée étoit due, par un Arrêt du 22 de Décembre 1670. Sixiemement, n’y ayant que le revenu assigné pour le Titre d’un Prêtre, qui soit déclaré inaliénable, par l’Article XII de l’Ordonnance d’Orléans ; on a jugé, que le fonds baillé à un Prêtre pour son Titre, pouvoit être décreté, à la charge que le Prêtre en auroit l’usufruit, ou que l’adjudicataire lui en payeroit un revenu annuel, de quartier en quartier par avance, par un Arrêt du 10 de Juillet 1676. De plus, le Titre d’un Prêtre n’est pas inaliénable, que quand il n’a point d’autres biens pour subsister : ce qui a fait juger, qu’un Prêtre qui avoit été titulaire & possesseur d’un Bénéfice qu’il avoit résigné, à la charge d’une pension modique de cent quarante livres, ne pouvoit empécher le Decret de l’héritage affecté à son Titre : on a en outre jugé que le Titre d’un Prêtre étoit une charge semblable à la rente foncière, de laquelle tout possesseur est tenu, de sorte qu’on n’est point obligé à décreter : car le Prêtre, comme le Rentier foncier, peut saisir les fruits & les meubles qui sont sur ledit héritage. Les Arrêts sont du 11 de Juin 1625 & du 21 de Février 1664. Septiemement, bien qu’un fonds ait été confacré pour l’édification & bénédiction d’un Temple, il peut être décreté, parce qu’on ne peut valablement dévouer au culte divin le bien d’autrui : ce qui a été jugé par un Arrêt de la Grand Chambre du Parlement de Paris, du 25 de Février 1630. Huitiemement, les créanciers peuvent faire condamner le saisissant, de comprendre dans le Décret les autres biens du débiteur, pour éviter la multiplicité de frais ; parce qu’un décrétant est comme Procureur de tous les autres créanciers, au benéfice desquels le Décret est censé devoir être fait, suivant la Loi Cûm unus, ff. De rebus authoritate Judicis. possidendis. Ce qu’il faut entendre, pourvu que les créanciers baillent une déclaration par tenans & aboutissans des héritaves qu’ils veulent être compris dans le Décret, dont ils sont garans ; & que d’ailleurs, ces héritages soient dans le ressort de la Province : car s’ils étoient ailleurs, le saisissant ne pourroit pas être tenu de les décreter, parce que ce seroit deux Décrets à cause de la diversité des formalités : ce qui a été jugé par un Arrêt du 17 Juillet 16yo, dont la décision doit être appliquée au cas dudit Article CXxxI dudit Réglement. Neuvie-mement, on a jugé par plusieurs anciens Arrêts, qu’un Décret ayant été cassé le décreté devoit rembourser dans un certain délai, les deniers qui avoient été payés à son acquit, du prix de l’adjudication : autrement, quand ces deniers égalent à peu pres la valeur de l’héritage, le Décret devoit être confirmé. Tous les Arrêts cidessus datés, sont référés parBasnage .1


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DuCange , verb. Subhastation, indique une Charte de oûr, d’où l’on peut conclure qu’en plusieurs endroits de la France les créanciers pouvoient alors faire vendre les meubles & immeubles de leur débiteur à cri public & à son de trompe ; dans la France coutumière, la vente des immeubles par encheres fut long-temps inconnuë, le créancier, faute d’être payé, prenoit des fonds de son débiteur par estimation : cette pratique s’abolit peu à peu, & elle avoit d’ailleurs cela d’incommode, que le créancier étoit souvent forcé de prendre des fonds éloignés de son domicile.

Ce qu’il y a de certain, c’est qu’auparavant l’Arrêt de l’Echiquier de l’an 1482, les formalités des décrets étoient incertaines en Normandie ; elles étoient confiées à la foi des témoins, & la manière d’y procéder n’étoit uniforme en aucun des Bailliages. Voyes Forget sur ce Titre & l’Arrêt de 1482, rapporté parTerrien , Liv. 10, Chap. 10. Notre Coûtume paroit conforme en plusieurs endroits de ce Titre au Droit Romain ; cependant elle se rapproche davantage de cet Arrét de l’Echiquier de l’an 1482, de l’Ordonnance de François I. de 1539. & de l’Edit des Criées de 1551.

On peut décreter les immeubles du débiteur de toute espèce, les terres nobles comme les roturiers, les rentes constituées comme les rentes foncieres, l’usufruit, les fonds donnés à bail emphitéotique, les Offices, & même la superficie de l’héritage, comme les bois de hautefûtaie, sans y. comprendre l’héritage même ; mais le créancier opposant peut forcer le de-crétant à augmenter la saisie sur sa déclaration & à ses risques & périls.

Les immeubles qui appartiennent à des Communautés régulieres ou seculieres, peuvent être saisis réellement, pourvu qu’aprés avoir constaté les dettes on observe dans le decret les formalités nécessaires pour la validité de ces sortes d’aliénations. On a même jugé au Parlement de Paris, par Arrêt du 1s Février 1650, rapporté dans le Journal des Audiences, Tome 1, Liv. 5, Chap. 1, contre les Religieuses Annonciades établies dans le Fauxbourg Saint Germain de cette Ville, que si le fonds sur lequel la Maison régulière est bâtie n’a point été payé, ou si le prix des batimens étoit du aux ouvriers, il pouvoit être faisi rcellement par le propriétaire du fonds ou par les ouvriers. M. l’Avocat-Géneral Talon, qui porta la parole dans cette affaire, dit que quand une Maison réguliere, dont le prix n’est point dû, a été dédiée & consacrée à Dieu, elle n’est plus dans le commerce, & qu’on l’avoit ainsi jugé, même pour le batiment du Collége des Lombards ; mais qu’il n’en étoit pas de même quand le fonds & les bâtimens n’appartenoient point en propre à la Communauté, puisqu’il n’étoit pas juste de batir des Maisons régulieres aux dépens du sang du peuple.

M. Pesnelle a bien observé dans le Préambule de ce Chapitre la qualité que doit avoir le Titre qui fonde la Saisie & les formalités de la Sommation ; on peut ajouter sur ce premier acte, que le décret n’ayant été introduit que pour punir la Contumace du débiteur qui refuse de satisfaire, il faut avoir la preuve du refus, & qu’elle est contenue dans le Proces-verbal de Sommation. Il n’a cependant pas traité la question, s’il est permis de saisir en vertu d’un Jugement provisionnel, l’Article VIII, du Tit. 27 de l’Ordonnance de 1667, la décide : elle autorise la saisie des héritages faite sur un pareil Titre, mais elle défend en mé-me-temps de procéder à l’adjudication auparavant la condamnation définitive ; il étoit dit au contraire, dans le Proces-verbal de l’Ordonnance, que les héritages & autres immeubles des condamnés, par provision, à quelque somme pécuniaire ou espece, ne pourront être saisis réellement, si depuis ils n’ont été définitivement condamnés : telle paroit être lopinion de Bérault ; mais sur la remontrance de M. le premier Président, on rédigea l’Article tel qu’il est maintenant dans l’Ordonnance de 1607. Je ne conseillerai cependant pas d’user indistinctement de la faculté qu’elle accorde : car si le Jugement provisionnel vient à être rétracté en définitive, le saisi aura droit de se plaindre d’avoir été dépossédé de ses héritages aussi ignominieusement & sans cause legitime.

Quoique le Titre dont le saisissant est porteur soit en bonne forme, l’exécution peut en être suspenduë par des Lettres de Répi ou des Lettres d’Etat. L’Article VI, du Tit. S, de P’Ordonnance de 1S8y, porte que les créanciers peuvent pour la Sûreté de leur dû faire saisir réellement les immeubles de leur débiteur, les mettre en criées & procéder au Bail judiciaire, nonobstant l’obtention & l’entérinement des Lettres de Répi, sans que toutefois, pendant le terme accordé par les Lettres ou par le Juge auquel elles auront été pré-sentées, il puisse être procédé à la vente & adjudication des choses saisies, que du consentement du débiteur & des créanciers. La Déclaration du Roi, portant Réglemecturer sujet des Lettres d’Etat du 23 Décembre 17oz, enrégistrée en ce Parlement le 12 lanvier suivant, est ainsi concue dans l’Article XII : n Nonobstant la signification des Lettres d’Etat, les créanciers pourront faire saisir réellement les immeubles de leurs débiteurs, n & faire régistrer la saisie, sans néanmoins qu’il puisse être procédé au Bail judiciain re ; que si elles ont été signifiées depuis le Bail, les criées pourront être continuées jus-n qu’au congé d’adjuger exclusivement ; & au cas que pendant ces poursuites le Bail expire, on pourra procéder à un nouveau Bail..

Il y a dans les diverses Provinces du Royaume differens Réglemens sur la discussion, des Coutumes l’admettent, d’autres la rejettent sans limitation : les tiers-détenteurs d’héritages affectés à des rentes ou autres charges réelles ou annuelles ne peuvent l’opposer à Paris, Article Cl de cette Coûtume ; mais elle a lieu s’il s’agit d’une simple obligation.

On croit que l’exception de discussion est réelle & dépend de la Coutume, de la situation. des biens possédés par le tiers détenteur. Nous n’admettons ni ne rejettons absolument la diseussion : nous ne l’admettons pas, puisqu’on peut saisir les héritages ou immeubles qui appartiennent ou ont appartenu à celui qui nous doit, sans qu’il soit besoin de faire sommer le tiers-possesseur ; nous ne la rejettons pas absolument, puisqu’il est permis au tiers-acquereur de donner au décrétant déclaration par bouts & côtes des héritages possédes par le débiteur ou acquereur postérieurs de lui, pour être décretés à ses périls & risques, & en donnant caution de faire payer le saisissant de sa dette, en exemption des frais de décret & de treizieme. Mais si l’acquereur postérieur en hypotheque au saisissant, a payé avec subrogation des dettes anterieures à celles pour lesquelles la saisie est requise il peut demander caution à son tour au décrétant, que les dettes dont il a opéré la libération se ront utilement colloqués à l’état ; & à son refus, il sera maintenu dans son acquisition.

On a jugé, par Arrêt du 13 Mai 1751 en la petite Audience de Grand’Chanbre, que le coobligé à une rente n’est pas recevable à jouir du benéfice de l’Article Cxxxi du Réglement de 16o8, & à indiquer les biens de son coobligé, malgré ses obéissances & les surc : és qu’il offre au saisissant. Dans le fait, le saisi étoit bien héritier du debiteur originaire, mais il ne possédoit aucun des fonds affectés à la rente ; un arrangement particulier, fait entre cohéritiers, ne peut déroger à l’Article Cxxx du même Réglement.

Il a été jugé, par Arrêt du Parlement de Paris, du dernier Février 16y7, aprés avoir demande l’avis aux Chambres, que le créancier de deux obligés solidairement qui attaqule tiers-acquereur, n’est point obligé de diseuter d’autres biens que ceux de celui des deux obligés qui a vendu : Poyer le Journal des Audiences, Tome 2. Je n’examine point si cet Arrêt est conforme à la Novelle a de Justinien ; mais je crois que des qu’en Normandie le coobligé ne peut indiquer les biens de son coobligé qui s’est chargé de la dette, l’acquereur n’a pas plus de droit que lui, & qu’il ne peut donner que la déclaration des biens de son vendeur. Voyer un Arrét contraire du Parlement de Provence dansBoniface , Tome d, Liv. 8 Tit. 2, Chap. 9.