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DXCIII.
En discussion de biens meubles, les deniers seront distribués aux Créanciers, selon l’ordre de priorité & postériorité, & le premier arrêtant aura les dépens de ses diligences, premier & au-devant des Créanciers.
Quoique les meu bles n’ayent point de suite par hypotheque : c’est-à-dire, que les créanciers ne les puissent failir, quand le débiteur à qui ils appartenoient les a mis hors de ses mains ; néanmoins quand ils sont vendus par Justice, les deniers du prix sont distribués aux créanciers suivant l’ordre hypothécaire, que la Coûtume appelle l’ordre de priorité & posteriorité : dont on peut inferer, que la priorité & la postériorité ne se doivent pas seulement entendre par rapport u temps auquel les obligations ont été contractées, mais aussi par rapport à sa cause d’icelles, d’autant que la priorité & postériorité peuvent être estimées par ces considérations.1
Pour mieux expliquer ce sujet, il est à propos de proposer sommairement la définition & la division de l’hypotheque. Pour commencer par la définition, l’hypotheque est un engagement des biens appartenans à un débiteur, fait sans transport ni tradition, pour la sûreté de l’obligation dont il est tenu. Il paroit par cette définition, que l’hypotheque est une obligation réelle, & qu’elle n’est qu’accessoire de la personnelle, qui est la premiere & principale dont elle dépend : elle differe du gage en ce que le gage se contracte par une tradition & livraison d’une chose, & que l’hypotheque s’établit par une simple paction, sans dessaisissement ni dépossession.
Quant à la division, la plus générale est en conventionnelle & en tacite. La conventionnelle est celle qui nait de la convention ou paction faite entre les contractans. La tacite est celle qui est établie par une loi, sans aucune stipulation ni promesse, comme est celle de la tutelle, celle du doüaire, celle de la legitime des enfans, & plusieurs autres. Il y en a un Titre aux Digestes & au Code : In quibus causis pignus & hypotheca tacité contrahitur. On peut mettre au nombre des hypotheques tacites, celles qui sont créées sur les biens des condamnés, par Sentence des Juges séculiers : ce qui a lieu en France depuis l’Ordonnance de Moulins, en l’Article LIII, qui porte, que la Sentence dont il n’y a point d’appel, ou qui en cas d’appel est confirmée emporte une hypotheque sur les biens du condamné, du jour qu’elle a été renduë. Auparavant cet-te Ordonnance, les Jugemens ne produisoient aucune hypotheque, sinon en tant qu’ils étoient exécutés par une saifie faite des biens du condamné : Id est ex causd judicari pignora capia érant, comme Bourdin l’a remarqué dans son Commentaire sur l’Ordonnance de 1539, Article XCII, & qu’il est montré parle Maître , en son Traité des Criées, Chapître 32, &Louet , H. 25.
Mais les hypotheques, tant conventionnelles que tacites, se subdivisent en privilégiées & en communes. Les privilégiées prennent leur force & leur vertu de la cause de l’obligation, parce que cette cause est favorable, & partant mérite une préférence aux autres créanciers, sans avoir égard au temps auquel les créances ont été contractées. Entre ces causes favorables, font les obligations pour le prix d’une chose vendue, le vendeur ayant un privilége sur la chose qu’il a venduë pour se faire payer du prix, par préférence à tous les créanciers de l’acheteur. Semblablement, celui qui a prété de l’argent, soit pour acquérir soit pour conserver, soit pour augmenter un héritage, a une obligation préférable sur cet héritage ; car par ces moyens, les autres créanciers ont acquis, ou confirmé, ou augmenté leur sûreté : hujus enim pecunia toiam causam pignoris constituit, aut sulvam aut meliorem fecit. C’est par une raison semblable, que les dettes d’un vendeur & celles d’un prédécesseur, quoique postérieures par le temps, sont payées préférablement aux dettes de l’acheteur sur l’héritage acquis, ou aux dettes de l’héritier à l’égard des biens de la succession : d’autant que les créanciers de l’acheteur & de P’héritier, n’auroient aucun droit sur Phéritage vendu, ni sur les biens de la succession, si cet héritage n’avoit pas été vendu, ou si cette succession n’étoit pas échue à leur dé-biteur.
Outre ces hypotheques, qui sont privilégiées sur les immeubles, il y en a qui le sont sur les meubles, parce que leur cause a été jugée favorable. Comme les loyers des héritages de la campagne & des maisons des villes, ont un privilége à l’égard des meubles apportés par les fermiers & par les locataires, dans les fermes & dans les maisons. Les frais funéraux, les falaires des Medecins, des Apothicaires & des Serviteurs, les frais des saisies & des inventai-res, les vacations de Justice, sont pris en privilége sur le prix des meubles laisses par un défunt. VoyezLouet , C. 29. F. 4.
Les hypotheques communes sont celles qui n’ont priorité ou préférence, qu’à cause du temps, qui fait que le plus ancien créancier préfere les autres, qui ont contracté depuis lui, de sorte que celui qui est le premier par l’ordre du temps, a droit de préférer les autres, qui proprior est tempore, potior est jure.
Ce qui s’entend non-seulement de la priorité de jour, mais de l’heure ; cunt de momento in momentum iempus specteiur, l. 3. S. minorem, ff. De minoribus : de sorte que ce qui est dit dans la Loi More Romano, ff. De feriis ; quid-quid in viginti quatuor horis adtum est, perinde est, quasi qualibet hora diei addum effet, ne s’étend pas au cas où le plus diligent est préférable : c’est pourquoi l’Ordonnance de Blois enjoint aux Notaires & aux Sergens de marquer dans les contrats & les exploits le temps de devant ou aprés midi, par les Articles CLXVII & CLXXIII. Que si dans deux contrats passés le même jour, l’heuré n’y est point exprimée, l’hypotheque sera concurrente, mais si dans l’un l’heurs est déclarée, & dans l’autre il n’en soit point fait mention, le contrat où l’heuré est marquée, emportera la préférence : ce qui se pratique dans toutes sortes d’actes où l plus diligent est préféré, comme aux Saisies, & aux Provisions des Be-néfices.
Mais quoiqu’on ne puisse pas stipuler valablement, que les hypotheques communes ayent une préférence avant le temps du contrat dont elles dépendent, on peut néanmoins utilement convenir de la subrogation à une hypotheque, soit commune, soit privilégiée d’un autre contrat. Par exemple, un débiteur remprunte de l’argent pour payer une dette ancienne ou privilégiée, il peut subroger son nouveau éréancier qui lui prête l’argent, à l’hypotheque du créancier qu’il veut acquitter. Mais afin que cette subrogation soit valable, il faut qu’il foit déclaré que l’argent est baislé pour acquitter une telle dette, aux fins de la subrogation à l’hypotheque d’icelle ; & que de plus, il soit énoncé dans la quittance qu’on prend du racquit de cette même dette, que les deniers sont provenus de l’emprunt qui a été fait du nouveau créancier : mais il n’est pas nécessaire que le créancier acquitté, donne aucun consentement exprés à la subrogation ; car ce consentement n’est requis, que quand le créancier, au droit duquel on veut succéder, reçoit directement le racquit de sa créance des mains de celui qui prétend entrer en sa place ; car en ce cas, il est nécessaire que ce créancier qui est acquitté, cede ses actions & subroge à son hypo-theque. Il y a un autre cas, auquel la subrogation est acquise sans stipulation, qui est, quand un créancier voyant qu’il est précédé par un autre privilégié ou plus ancien, le paye pour succéder en sa place ; car dés-lors qu’il paroit ez pecunia secundi creditoris, primun esse dimissum, posterior in primi locum suecedit ipfo jure. Mais dans tous ces trois cas, il est requis qu’il paroisse claire-ment, liquido consier, que c’est de l’argent de celui qui prétend être subrogé, que le premier créancier a été acquitté. Or cette preuve ne se peut faire autrement que par écrit ; c’est-à-dire, par la quittance du racquit, qui contienne une déclaration que les deniers ont été fournis par celui qui se dit subrogé. Que si quelqu’un achete un héritage, à la charge d’acquitter les dettes du vendeur, il entre en la place des créanciers qu’il acquitte en exécution de son contrat, sans aucune stipulation de subrogation, & il peut se maintenir vid ex ceptionis, dans son acquisition, contre les autres créanciers postérieurs de son vendeur, suivant la Loi 3. C. De his qui in priorum locum succedunt, à laquelle est conforme ce qui est attesté par l’Article CXXXVIII du Réglement de 1688, com-me il a été remarqué : VoyezLouet , C. 38, 39. Mais afin que cet acheteur soit subrogé à l’égard des autres biens de son vendeur, il est nécessaire qu’il stipule la subrogation, ou avec son vendeur, ou avec le créancier qu’il a racquitté, suivant ce qui a été dit ci-devant.
Il faut rapporter sur cette matière de subrogation, deux Articles dudit Réglement, dont l’un, qui est le CXXXII, porte que l’obligation du plege est éteunte quand la deîte est payée par le principal obligé, lequel peut subroger celui qui a baillé les deniers à lhypotheque, de la delte acquittée sur ses biens seulement, & non sur ceux du plege ; l’autre Article est le CLI, qui atteste, que les deniers pris en consiitution (’il faut ajouter, avoc la clause de subrogation, jayant été employés au rachal d’une renie, les arrétages de la nouvelle conslitution sont subroges à l’lypotheque de la rente rachetée, jusqu’à la concurrence des arrérages qui en étoient dus par chacun an, 6s le surplus a seulement hypotheque du jour du dernier contra1. Ce qui doit faire connoître que la subrogation n’est que pour faire entrer un créancier en la place d’un autre, sans que cela puisse aggraver ou empirer la condition des autres créanciers antérieurs.
Il ne faut pas omettre, que les arrérages des rentes ont la même hypotheque que le sort principal, suivant la Loi Lucius, ff. Qui potiores in pignoribus habeantur : mais néanmoins, pour conserver cette hypotheque des arrérages, il faut des diligences ou des poursuites faites & rapportées en Jugement de cind Sans en cinq ans, à moins que les biens du débiteur n’ayent été faifis en décret, suivant la remarque faite sur l’Article Dxxx. Donc la reconnoissance faite en Juistice ou devant Notaires, de devoir plus de cinq années d’arrérages, n’a hy pothcque que du jour que cette reconnoissance est faite, à l’égard de ce qui excede les cinq années, comme il a été remarqué sur ledit Article DXXx.
Semblablement, quoique les arrérages des fermages ayent régulierement l’hypotheque du bail, néanmoins si le propriétaire laisse écouler cinq ans aprés le bail fini, sans faire de poursuites contre le fermier, il n’a hypotheque pour ce qui lui est dû du bail, que du jour qu’il en aura fait la poursuite, suivant qu’il est attesté par l’Article CxxXVII dudit Réglement. Les Articles LXXVI, LXXVII & LXXVIII dudit Reglement touchant les Tutelles, font connoître que celui qui a été en tutelle, doit poursuivre dans les dix ans aprés sa majorité son Tuteur, pour lui payer ce qui lui est dû pour le compte de tutelle, autrement, il n’a ni hypotheque sur les biens du tuteur, que du jour de sa demande, ni a aucune action contre les Parens nominateurs ; & qu’à l’opposite, un Tuteur qui a négligé pendant ce même temps de dix ans, de demander ce qui peut lui être dû pour les avances faites pendant son administration, n’a hypotheque que du jour de la demande, & non du jour de l’institution de la tutelle. Toutes ces décisions sont fondées sur une précaution qu’on a voulu prendre contre les fraudes qui se peuvent concerter contre les créanciers, en faisant subsister des dettes, ou qui ne sont point dûes, ou qui ont été acquittées.
Ce qui a été dit, que les meubles n’ont point de suite par hypotheque, semble recevoir plusieurs exceptions : car les meubles apportés par un fermier ou locataire, qui sont hypothéqués pour le payement du loyer ou du fermage, peuvent être suivis par le propriétaire, quand ils ont été enlevés furtivement pour le frustrer, suivant ce qui est ordonné par l’Article CLXXI de la Coutume de Paris. Secondement, si un créancier a été saisi d’un gage qui lui ait été soustrait, il le peut poursuivre comme une chose furtive. En troisieme lieu, celui qui a vendu de la marchandise dont il n’a point été payé, la peut faire saisir & arrêter : en quoi on use de distinction ; car s’il l’a venduë. sans jour & sans terme, c’est à-dire, sans avoir donné aucun temps pour le payement, il la peut suivre en quelque main qu’elle soit passée, pour être payé du prix ou pour en être ressaisi : que s’il a accordé un temps pour le payement, si habuit fidem de pretio, il s’est confié à la promesse de l’acheteur ; & partant, il lui a donné pouvoir d’en disposer par quelque titre que ce soit ; c’est pourquoi il ne la peut plus poursuivre, lorsqu’elle est passée en tièrce main : mais s’il la retrouve entre les mains de celui à qui il l’a vendue, il pourra la revendiquer, ou demander d’être payé de son prix, par préférence à tous les autres créanciers : Ces décisions font les Articles CLXXVI & CLXXVII de la Coutume de Paris. Voyez Louet & son Commentaire, P. 19. En Normandie, le propriétaire d’une maison dans laquelle la marchandise seroit trouvée, seroit préféré pour ses loyers, au marchand qui auroit vendu la marchandise avec jour & terme de payement.
La Coutume de Paris donne au premier saisissant des meubles, la préférence pour être payé du prix provenant de la vente d’iceux, au préjudice de tous les créanciers, qui n’ont que des hypotheques communes ; sinon, lorsque les biens du débiteur, tant meubles qu’immeubles, paroissent n’être pas suffisans pour payer tous les créanciers : C’est le cas de déconfiture, auquel tous les créanciers, tant hypothécaires que chirographaires ( à moins qu’ils ne soient privilégiés ) sont payés sur le prix des meubles & des choses réputées meubles par la Coutume de Paris, comme sont les Offices & rentes hypotheques, par contribution au sol la livre, c’est-à-dire, pro raia debiti. De sorte qu’en ce cas le premier saisissant n’a que les frais de la saisie & des poursuites en dépendantes, en privilége. Voyez les Articles CLXXVIII, CLxxIx, CLxxx,
CLXXXI & CLXXVII de ladite Coûtume, & ce qui a été remarqué sur l’Artiele XCVII. La Coûtume de Normandie, en cet Article DXCIII, est plus con-forme au Droit Romain, par lequel l’action hypothécaire, quasi Serviana, avoit lieu aussi-bien pour les meubles que pour les immeubles, & en outre, est plus favorable aux débiteurs, qu’on ne s’empresse point de faire exécuter, parce que les créanciers ne se font aucun préjudice par le retardement.
Sans sortir de ce Titre on distingue, lors de l’état, trois ordres de créanciers : on place dans le premier ordre les dettes portées dans l’Article DLXXV, les défalcations de l’Article DLXXIV, le prix des ameliorations faites par le tiers-acquereur, les dettes du vendeur, quand le décret est entrepris poun celles de l’acquereur, & les dettes du défunt, si l’on décrete pour celles de l’héritier ; on appelle cet ordre, l’ordre des créanciers privilégiés, on y colloque ceux qui sont subroges à leurs droits par la Loi ou par convention : les créanciers hypothécaires suivent la date de leurs contrats, quand ils sont en forme authentique & solemnelle ; les créanciers chirographaires viennent les derniers & par contribution entr’eux.
Voila une legere esquisse de la doctrine des hypotheques. Vuoyer, sur cette matière, l’excellent Traité de Basnage ;Renusson , de la Subrogation ; lePrêtre , avec les Additions de Giuëret,Brodeau , sur M. Louet ; les Arrêtés de Lamoignon & ses Mémoires ; Domat & les Arrêts notables d’Augeard .
Comme la discussion des meubles donne ouverture aux droits de consignation, je rappelle la Déclaration du 21 Mars 1765 : l’Article VI prescrit aux Officiers qui font la vente des effets mobiliers, de faire mention des oppositious survenues pendant le cours de la vente, & leur ordonne de déposer les deniers entre les mains du Receveur des Consignations, dans la huitaine, pourvu qu’à l’expiration de ce délai il y ait encore deux opposi-tions subsistantes avec le saisissant ; le droit de consignation est fixé à neuf deniers par livre, à l’égard des Rteceveurs qui ont financé en conséquence de l’Edit du mois de Septembre 17od, & à six deniers par livre à l’égard de ceux qui n’ont point rempli les dispositions de l’Edit. Voye ; mon Obiervation sur i Article DLXXIV.