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DCVII.

Droiture de servitude de vues, égouts de maisons & autres choses semblables, par la Coûtume générale de Normandie, ne peut être acquise par possession & jouissance, fut-elle de cent ans, sans titre ; mais la liberté se peut racquérir par la possession de quarante ans continuels, contre le Titre de Servitude.

Cet Article est composé de deux parties, dont chacune renferme une maaime fort remarquable. La premiere est, que le droit de servitude ne se peut acquérir par aucune possession sans titre, fut-elle de cent ans. La seconde est, qu’on peut acquérir la liberté contre la servitude, par une possession de quarante ans. Quant à la premiere, il est à propos de se souvenir d’une exception qui est faite par duMoulin , en sa Note sur l’Article CCXXx de la Coûtume de Blois, où il enseigne, que quoique par ledit Article Cexxx, le droit d’égout, non plus que celui des autres servitudes, ne se puisse acquérir sans Titre, par quelque temps que ce soit, cela ne se doit pas entendre, quand il y a un ouvrage bâti sur le fonds d’autrui pour l’usage de la servitude : Non intelligitur de siillicidio incorporato, & incdificato visibiliter, vel quiescente super fundo vicini : Parce qu’un ouvrage, comme a ditCoquille , sur le second Article du Titre des Seriatudes reelles, ne prouve pas une simple souffrance, mais une entreprise qui est un acte de véritable possession & saisine 113. Conformément à cette doctrine, le Commentateur deLouet , S. 1, rapporte deux Arrêts, par lesquels il a été jugé, que le droit de ces égouts construits sur le fonds d’autrui, se peut acquerir & prescrire sans Titre ; l’un est du 20 de Novembre 1574, confirmatif de la Sentence des Juges d’Amiens & l’autre est du 19 d’Avril 16o8. donné pour servir d’interprétation à l’Article CLXXXVI de la nouvelle Coume de Paris ; lequel Article dispose, que le droit de servitude ne s’acquiert point par longue jouissance, quelle qu’elle soit, sans Titre. Il y a eu un semblable Arrêt rendu au Parlement de Roüen, au rapport de Monsieur Guéroult, Sieur du Saussay, entre de la Grange Chirurgien, & Madeleine Durcdent femme civilement séparée de Nicolas de Morteing, Huiilier aux Eaux & l’orcts ; par lequel il fut jugé, qu’une chausse de cloaques, qui étoit batie sur la cour dépendante de la maison dudit de la Grage, & même une galerie qui étoit élevée sur ladite cour, pour aller au siege desdits cloaques n’étoit point une servi-tude, mais un droit de propriété qui n’avoit point besoin de Titre, de sorte que ladite Duredent, à qui appartenoit ladite maison, dont dependoient ladite chausse de cloaques & ladite galerie, fut maintenue en la possession qu’elle en avoit, avee dépens. Il semble qu’il faudroit dire la même chose d’un acqueduë bari sur le fonds d’autrui, pour la conduite des caux ; & qu’un ouvrage qui fait partie du fonds, attribue une véritable possession, en vertu de laquelle on peut prescrire.1

a l’égard de la seconde maxime, il n’est pas difficile d’expliquer comment on peut prescrire la libération des servitudes, qui consistent en quelqu’action. & usage de la part du possesseur de l’héritage, auquel elles sont ddes : car il est évident que la prescription qu’on peut acquérir contre ces servitudes est par le non usage d’icelles pendant le temps de quarante ans. Et partant les servitudes de passage, d’abreuver ses bestiaux, ou de puiser de l’eau, se peuvent perdre si on est quarante ans sans faire aucun usage ou exercice de ces servitudes. Mais il y a des servitudes qui ne consistent en aucun usage, mais uniquement en ce que les Propriétaires des héritages servans, ne peuvent faire de certaines choses qui appartiennent par un droit de liberté. Comme, par exemple, la servitude de ne pouvoir batir que jusqu’à une certaine élévation, ou de ne pouvoir batir en un certain endroit, de peur de nuire aux vûes de l’héritage voisin, ou de ne pouvoir avoir de fenêtres en une certaine partie de sa maison, sont des servitudes qui subsistent & se maintiennent sans aucun usage ou action, & consistent seulement à empècher que le voisin ne se remette en possession de la liberté qu’il auroit, s’il n’en étoit pas privé par la servitude à laquelle son héritage est assujetti. Donc l’unique moyen par lequel on peut prescrire la libération de ces sortes de servitudes, n’est pas un non usage, mais plutôt un usage contraire à la servitude, si celui dont le fonds est servant, fait quelqu’entreprise ou ouvrage contraire à la servitude, s’il éleve son bâtiment, s’il bâtit où il ne devroit point batir S’il ouvre des fenêtres, où il n’en pouvoit avoir ; car si ces entreprises subsistent pendant qua-rante ans, elles produisent par un effet de prescription, la libération de ces servitudes. Basnage rapporte un Arrêt du premier de Juin 168o, par lequel un Propriétaire qui avoit servitude, par laquelle le voifin ne pouvoit bâtir d’éeurie, ni garder de fumier en sa maison, fut maintenu au droit de cette servitude, encore que la maison servante eût été venduë plusieurs fois sans la charge de cette servitude, & qu’il y eût plus de cent ans que la servitude eût été constituée.2

Mais quoique la libération des servitudes soit favorable, il est néanmoins d’un usage constant, qu’il n’est point nécessaire pour conserver le droit de servitude sur un héritage décrété, de s’opposer au Décret, qui ne peut être passé au pré-judice des droits propriétaires & fonciers. Ce qui est contraire à la Jurisprudence du Parlement de Paris, par laquelle il faut s’opposer au Décret, pour conserver les servitudes, à moins qu’elles ne soient visibles & apparentes, comme il a été remarqué sur l’Article DLXXVI. VoyezLouet , S. 1.


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Dans l’ancien droit Romain les servitudes d’héritages ne pouvoient être acquises par preseription ; mais auparavant la Loi Scribonia, on pouvoit prescrire les servitudes de batimens ; Justinien permit d’acquerir toute servitude par prescription.

Le droit commun du Pays coûtumier a embrassé une Jurisprudence entièrement opposée à celle que Justinien avoit introduite : on n’y distingue point, comme à Toulonse, le droit de servitudes continues d’avec celui de servitudes discontinues, pour soumettre les unes à la prescription de trente ans, & les autres à celle d’un temps immémorial :Vedel , surCatelan , Liv. 3, Chap. S. Les servitudes rustiques n’ont point une Jurisprudence différente des servitudes urbaines, comme à Lyon ou dans le Ressort du Parlement de Dijon ;Bretonnier , surHenrys , Tome a, quest. 80. Enfin les servitudes visibles & accompagnées de vestiges extérieurs, sont régies par la même Loi que les servitudes latentes : toutes servitudes, de quel-qu’espece qu’elles puissent être, y sont imprescriptibles, & ne peuvent subsister sans un titre valablement perpétué ; les servitudes même d’un usage nécessaire ne peuvent être l’effet de la seule possession ; le propriétaire, qui a fouffert le passage sur son fonds, est toujours en droit de reclamor un dédommagement, & même en rente foncière, suivant la Jurisprudence actuelle de notre Province arrestée par un Arrêt du 5 Mars 1736.

La disposition des Coutumes est fondée sur la faveur de la liberté, & sur ce qu’il ne paroit pas convenir que des actes souvent ignorés ou accordés à la familiarité, tournent en un droit formé & exigible.

Cependant nous avons des Contumes qui s’écartent de cette regle contumière, nulle Servitude sans Titre ; les unes disposent que la possession immémoriale supplée au Titre, de ce nombre sont herg ; S. Winox, Rub. 14, Article Iil, Rub. 15, Article l ; Bruges, Tit. 22, Article I ; Douay, Chap. 9, Article Il ; Grand Perche, Article CCXVI, Liége, Chap. 9 Article Xl : Orchies, Chap. 8, Artiele III ; Merz Evéché, Tit. 16, Article V. Marsal, Article LXXYI. D’autres disent que la Servitude s’acquiert par la prescription comme les autres biens & actions, ou par une possession de quarante ans. Alost, Rub. 4, Article I, Il, III ; Amiens, Article CLXV ; Auvergne, Chap. 17 Article Il & IV ; Châlons Article CXLIV ; Chaulny, Article LXix ; la Gorgue. Article XIII & XLV : Meez, Viile & Cité, & Pays Messin, Tit 13, Article I. Il & XIx ; Nieuport, Rub. 15, Article Ix, Ponthieu Article CXV ; S. Omer, Bailliage, Article XXl ; S. Omer Ville & Echevinage, Articie CXXx ; Toul, Article CVII ; Valenciennes, Article XCIII, Vermandois, Ar-tiele Cxl. V.

Une Sentence contradictoire, avec trente années d’exécution, paroit à quelques Auteurs remplacer le défaut du titre constitutif de servitude ; si cette Sentence n’est déclaratoire que de la nue possession, elle est inurile eût-elle été exécutée pendant un siecle ; la question a été jugée ainsi par un Arrêt rapporté par Bérault ; mais si la Sentence énonce un titre positif non contesté, il y auroit quelquefois de la rigueur à forcer, aprés un leng laps de temps, celui qui est troublé dans la servitude dont il a toujours joui à le renrésenter.

Des transactions anciennes, des actes subsequens, qui ne contiennent que des faits possesfoires, qui ne donnent aucune idée d’un titre primitif, ne peuvent fonder une servitude, à cause que la disposition de la Coutume est absolument négative.

Nous avons deux Arrêts célebres sur cette matière : les Religieux de Séez reclamoient une portion de la Grange dimèresse de Dussy, ils en établissoient la possession & la propriété sur une Sentence du 9 Juillet 16oy, qui, sur la poursuite du Curé, les avoit condamnés à la réparation de la Grange ; tous leurs Baux, jusqu’en 1745, la plûpart passés avec les Curés, chargeoient le fermier de son entretien pour leur part contributive, ils s’étayoient en outre de l’Article DxxI de notre Coûtume & de l’Article CXVII du Réglement de 16b8a le Curé se renfermoit dans la disposition de l’Article DEVII de la même Coutume, demandoit la représentation du Titre primordial, & avoit justifié que la Grange étoit située sur le domaine de la Cure ; par Arrêt du 22 Mars 1757, le Curé de Dussy a été déchargé de la demande des Religieux de Séez. Le Chapitre d’Avranches avoit eu auparavant la même prétention contre le Curé de Marcé, il justifioit d’une transaction du quinzieme siecle ; mais parce que dans la transaction produite on y avoit énoncé ces termes, Grangia dicti Curati, & à cause de la situation de la Grange sur le fonds de la Cure, on n’a point eu d’égard à la possession immémoriale du Chapitre, appuyée sur la transaction : la Cour a pensé que les Curés de Marcé avoient pu accorder l’usage de cette Grange au Chapitre d’Avranches ; mais que cet usage ne remplaçoit point un Titre : Arrêt du 3 Février 1735.

Le décret n’est point un titre constitutif de servitude c’est ce que développe en peu de mots M.Auzanet , sur l’Article CCII de la Coutume de Paris : n le décret & adjudication n d’une Maison, en l’état qu’elle étoit, n’est suffisant pour conserver les vues qui subsistoient n lors de la saisie réelle & de la poursuite du décret, mais il est nécessaire de rapporter un n titre particulier des vues : ainsi jugé par deux Arrêts donnés, l’un au Rapport de M. Riant, n en la quatrieme des Enquêtes, le premier Mars 16oû, & l’autre en la cinquieme des Eny quêtes, auiRt apport de M. Hatte le 2o Juillet 1611. nCe que dit M. Auzanet de la servitude de vue, s’étend a toutes espèces de servitudes ; j’ajoute que quand même il seroit fait mention d’une servitude quelconque dans la saisie, dans les criées, & même dans l’adjudication finale, l’adjudicataire ne seroit pas moins obligé de représenter un Titre indépendant de celui de l’adju lication, & il ne faut tirer aucun argument de ce qu’on lit dans M. le nCamus , sur l’Atticle CCXVI de Paris : n le décret forcé est un titre suffisant pour conn server à l’acquereur le droit de servitude active, dont jouissoit le saisi, pourvu que dans la saisie réelle, affiches, criées & adjudications il en soit fait mention : n car l’adjudicataire ne peut avoir un droit plus ample que celui du saisi ; or le saisi, nonobstant sa pos-session auroit été obligé de représenter le titre constitutif de la servitude : il faut donc que Padjudicataire subisse la même Loi, & telle est l’opinion de Ferrière sur l’Article CLXXXVI de la même Coûtume : opinion qui doit être certainement suivie parmi nous.

Le larmier qui auroit été suspendu pendant plus de quarante ans sur un fonds du voisin, ne fait point présumer un Titre de servitude : Arrêt du 17 Juillet 1742. Mais un canal plaqué par le propriétaire de la maison contre le pied de son mur, sur le terrein du voisin, entraine la prescription du fonds par une possession quadragénaire & éclipse toute idée de servitude ; celui qui l’a placé sur ce terrein, est réputé avoir possédé le terrein en maître parce qu’il avoit lieu de croire l’être ; & le voisin, par un silence aussi long, est cense l’aroit abandonné : Tai toujours donné ce sens à la note de duMoulin , sur l’Article CexXx de Blois.

Les servitudes étant une fois établies, observez-en les principes généraux ; on doit en user civilement, autant que l’usage en est nécessaire, & de façon que le fonds assujetti ne devienne pas infructueux au propriétaire ; il faut les interprêter dans le sens étroit de leur Titre, & il n’est pas permis de les étendre d’un cas à un autre, ni d’un fonds à un autre fonds, quoique le Titre des servitudes renferme les accessoires nécessaires pour en rendre l’exercice possible : consultez souvent duMoulin , in extricatione divid. & individ.

On a jugé, d’aprés ces principes, qu’un droit de pressurage ne donnoit entrée dans la masure, de la situation du pressoir à celui à qui le droit étoit dû, que dans le temps que les fruits seroient pressurés : on a aussi obligé par Arrét du 14 Juin 1729, un cohéritier qui avoit stipulé par le Titre des partages, la liberté d’édifier à sa maison un troisieme étage, a suivre dans sa nouvelle construction la hauteur des deux anciens étages, & de réduire en outre le troisieme à la hauteur d’un des autres. On peut encore citer une autre espèce un bourgeois, marchand ou artisan, a le droit de faire passer ses eaux sur la maison de son voisin : cette maison est dans la suite occupée par des personnes d’autre condition, comme Rôtisseurs, Chaircutiers, Taneurs, Teinturiers, faiseurs de favon, & autres de tels mêtiers, ils ne pourront pas y faire passer leurs eaux, dit Desgodets à cause de la puanteur : cependant, cette décision qui paroit juste est assujettie à la qualité du Titre & des incommodites occasionnées par le genre de profession de ceux qui l’occnpent.


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La prescription contre les servitudes, introduite en faveur de la libération des fonds, éprouve bien des interruptions.

Quand le fonds dominant est divise entre plusieurs cohéritiers, elle est due solidairement à chaque portion du fonds quoiqu’elle doive être exercée de la même façon, senguli in solidum sed eddem utuntur : duMoulin . Un seul des cohéritiers, en l’exercant, la conserre avant le partage pour tous étant in dividue.

Dans la servitude de prise d’eau, si la source tarit & renait, même aprés la prescription, la servitude se rétablit, d’autant qu’on ne peut imputer aucune faute au propriétaire du fonds dominant, tandis que la source est tarie.

Celui qui a le droit de chemin, avec chevaux & chariots, le conserve en y passant seul, d’autant que le droit de passer seul fait partie du droit de passer avec chariots & chevaux.

Quand le chemin qui doit la ervitude s’éboule ou devient impraticable on peut en exiget. un autre sur le détenteur de partie du fonds servant, quoiqu’il l’ait possédé comme libre pendant plus de quarante ans, quia quemadmodum plures socii fundi dominantis habent singuliin solidum jus servitutis active, plures socii fundi servientis debent illud singuli in solidum passive ; duMoulin , Novus intelledtus quatuor legum.

Quand les batimens servans & dominans ont été détruits, l’utilité publique exige que dans le cas de réédification les servitudes soient rétablies, sur-tout si elles consistent dans un droit prohibitif ; car le batiment servant ne peut être reconstruit que sous la condition du premier batiment.

Quand un fonds doit deux servitudes de différentes espèces, l’une peut subsister, quoique l’on ait prescrit contre l’autre

Ferrière , sur l’Article CLXXXVI de la Coutume de Paris, Gl. 2, n. 7 & suivant, observe que quoiqu’on ait négligé l’usage d’une servitude pendant un temps suffisant pour en acquerir la preicription, si cette servitude est exercée de nouve, u, & qu’il n’y ait point d’opposition elle reprendra sa force ; car la prescription est une exception qui doit être proposée, & celui qui ne la propose point est censé y renoncer.

Les servitudes qui consistent à empécher ne se prescrivent que du jour que l’on y a contre, enu : en voici un exemple Un particulier avoit acquis une maison, assujettie à la servi-tude de ne pouvoir bâtir d’écuries, l’acquereur vend cette maison, sans expression de la servitude ; elle est ensuite revendue : aprés cent ans écoulés depuis la premiere vente, le dernier acquereur veut construire une écurie, on s’y opposa ; l’opposition fut recue par Arrêt, fauf l’action en garantie des differens acquereurs entr’eux.